L'hôpital en quête d'une ordonnance, Le Point, 15 janvier 2009. par Nicolas Baverez
Les trois décès intervenus dans les hôpitaux de la région parisienne, après le sinistre sanitaire des surirradiés d'Epinal et à la veille du jugement sur l'hormone de croissance et ses 114 jeunes victimes, éclairent d'un jour cru la dégradation de la qualité des soins en France, en particulier au sein des hôpitaux publics.
Le nombre des décès découlant d'erreurs médicales est évalué à 10 000 en France. Autre indicateur clé, la mortalité avant 5 ans s'élève à 0,8 ‰, contre 0,5 aux Etats-Unis et en Allemagne et 0,6 au Royaume-Uni.
Sous ces données pointe la dégradation accélérée des performances du système de santé français, qui, placé en tête du classement mondial par l'OMS en 2000, figure désormais à la dixième place en Europe. L'excellence française en matière de santé relève désormais du mythe.
La chute des performances du système de santé ne doit rien au manque de moyens. La France consacre 11,5 % de son PIB à la santé, soit le troisième rang mondial après les Etats-Unis (16 % du PIB) et la Suisse (13 %).
L'hôpital représente 64 % des dépenses hors médicaments, contre 53 % en Allemagne, 30 % aux Etats-Unis, 48 % pour les pays de l'OCDE, alors que les soins ambulatoires restent limités à 28 % (contre 38 % dans l'OCDE).
Quant aux effectifs hospitaliers, ils sont identiques à ceux de l'Allemagne, qui compte 18 millions d'habitants supplémentaires avec une espérance de vie légèrement meilleure. Le système de santé français ne souffre donc nullement d'un poids ou d'un financement insuffisants des hôpitaux, mais de leur excès.
L'absence d'organisation et de continuité des soins se traduit par un recours démesuré à l'hôpital (251 hospitalisations pour 1 000 habitants, contre 161 dans l'OCDE), qui génère des surcoûts considérables (51 milliards d'euros en 2009, auxquels s'ajoute un déficit d'au moins 1 milliard en 2009 comme en 2008), mais aussi des risques sanitaires élevés (infections nosocomiales).
D'où un suréquipement hospitalier manifeste avec un établissement pour 22 000 habitants, contre un pour 44 000 en Europe, la diminution du nombre d'établissements depuis 1992 ayant été concentrée sur les cliniques (-19 %, contre-4 % pour les hôpitaux publics).
D'où le retard en matière d'hôpital de jour, de structures de rééducation, de prise en charge de la dépendance, de prévention surtout (1,8 % des dépenses, contre 3,1 % dans l'OCDE).
La régression du système de santé français s'explique par quatre problèmes fondamentaux.
Le premier touche à l'inégalité croissante dans l'accès et la qualité des soins, avec l'apparition de déserts sanitaires dans les zones rurales, en raison des contraintes de vie pour les professionnels de la santé, ou dans les banlieues, pour des raisons d'insécurité.
Le deuxième tient à l'éclatement des filières et des structures de soins, notamment le cloisonnement entre médecine de ville et médecine hospitalière, et à la stratification anarchique des niveaux administratifs (services, pôles, hôpital, centre hospitalo-universitaire, communauté hospitalière, agence régionale hospitalière, agence régionale de soins, ministère...).
Le troisième découle de la sous-productivité et de la dégradation des soins dans les hôpitaux pour de nombreuses raisons : l'éclatement des structures, étant entendu que taille insuffisante, sous-activité et dangerosité vont de pair ; la rivalité permanente entre les pouvoirs administratif, médical et infirmier ; la sous-utilisation chronique des équipements et des compétences du fait des 35 heures (les blocs opératoires les plus performants de l'Assistance publique à Paris ne fonctionnent que 7 heures 36 minutes par jour, et le plus souvent 4 jours sur 5 du fait d'une maintenance effectuée pendant la semaine, contre 18 heures 6 jours sur 7 dans les structures privées) ; l'accumulation des tâches administratives des équipes soignantes et la montée d'une culture de la procédure au détriment de la responsabilité médicale.
Le quatrième travers est à chercher dans les lacunes béantes en matière de mesure de la qualité des soins, alors qu'elle constitue le corollaire obligé de la tarification en fonction des pathologies.
Nul ne peut contester la priorité qui s'attache à l'amélioration du système de santé, dont la déliquescence doit être enrayée tant pour des raisons de cohésion sociale et d'efficacité économique que de soutenabilité des comptes publics : le déficit de la Sécurité sociale devrait en effet atteindre 15 à 20 milliards d'euros en 2009, dont la moitié pour l'assurance-maladie, avec une dette sociale culminant autour de 160 milliards d'euros, contre 41 milliards en 1996.
Le pivot en est l'hôpital, que les projets de réforme entendent réorganiser autour de trois axes : la transformation des directeurs d'hôpital en patrons à part entière dotés de pouvoirs élargis en matière de recrutement et de rémunération des personnels ; le regroupement des établissements en communautés hospitalières ; la création d'agences régionales chargées de coordonner l'offre de soins.
Le pari paraît très aléatoire, qui consiste pour l'Etat à planifier et à rationaliser l'offre de soins sur une base régionale. Le dirigisme sanitaire semble en effet une réponse paradoxale aux défis que doit relever le système de santé français. En matière de santé, l'Etat continue à s'occuper de tout et de tous, sauf des soins et des malades