mercredi 29 avril 2009

La loi Hôpital, patients, santé, territoires, "c'est un peu la réforme de trop"

Plusieurs milliers de médecins hospitaliers et de personnels soignants devaient manifester contre la loi "Hôpital, patients, santé, territoires", mardi 28 avril 2009 à Paris, sur un mot d'ordre de défense de l'hôpital public.

Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des politiques de santé, éclaire les raisons du malaise et du mécontentement hospitalier.

Comment analysez-vous la montée de la contestation à l'hôpital ?

Il faut replacer le mouvement de protestation suscité par la loi "Hôpital, patients, santé, territoires" (HPST) dans la dynamique des réformes précédentes qui ont créé un climat de tensions et de mécontentement général à l'hôpital. Du point de vue des acteurs hospitaliers de terrain, la loi HPST, c'est un peu la réforme de trop.

Depuis le milieu des années 1990, l'hôpital est en réforme permanente - création des agences régionales d'hospitalisation (ARH), introduction de la tarification à l'activité (T2A), création des pôles (réunion des services), gouvernance.

Ces réformes se succèdent les unes aux autres sans qu'on ait pris le temps de les évaluer ni même qu'elles produisent tous leurs effets. C'est un peu comme un Meccano dont les pièces ont été progressivement mises en place mais sans que le plan d'ensemble n'ait été dévoilé aux acteurs. Or tout se passe comme si la loi HPST vendait la mèche : c'est à l'occasion de cette réforme que les hospitaliers prennent conscience de la logique globale.

Jusqu'ici, les médecins semblaient pourtant admettre les réformes précédentes, en s'engageant notamment dans la gestion des pôles...

En effet. L'une des raisons du mécontentement des hospitaliers, c'est la non-reconnaissance des efforts qu'ils ont réalisés, souvent dans des contextes budgétaires tendus et de pénurie d'effectifs.

Avec l'affaiblissement du pouvoir médical dans le projet de nouvelle gouvernance, les hospitaliers craignent que les outils précédemment introduits (T2A, pôles), dans lesquels ils s'étaient malgré tout investis, soient désormais détournés par des exécutifs hospitaliers "tenus" par les autorités politiques.

Car la loi HPST achève de verticaliser le système de santé en instaurant des lignes hiérarchiques claires : la chaîne de pouvoir qui va du ministère de la santé jusqu'au directeur d'hôpital, en passant par le directeur des agences régionales de santé (ARS), est établie pour contourner les intérêts locaux et médicaux, qui sont perçus comme des freins aux restructurations.

Quelle est, selon vous, la logique des réformes hospitalières ?

Jusqu'à présent, les lignes hiérarchiques médicales et administratives étaient assez bien séparées, chacune respectant le territoire et le pouvoir de l'autre. Au besoin, face à la tutelle, elles passaient des alliances.

La réforme remet en cause ce Yalta implicite en tentant d'hybrider ces deux logiques en une gestion médico-économique. Dès lors, la rationalité économique s'immisce au coeur de l'activité soignante.

Or si en Angleterre, par exemple, la définition de priorités et la gestion de la rareté font l'objet d'un débat politique ouvert (comment on prend en charge les patients, lesquels prend-on en charge, etc.), en France, au contraire, les soignants sont sommés d'opérer quotidiennement ce rationnement que les politiques refusent d'endosser.

Cela revient, en somme, à renvoyer les choix tragiques aux professionnels de santé. Cela permet de les sérialiser, de les rendre invisibles, donc de les dépolitiser, mais au prix de l'alourdissement de la responsabilité, de la charge morale et mentale du travail des soignants.

Comment, au quotidien, se traduisent ces contraintes pour les hospitaliers ?

Par un profond malaise. Le renforcement de la contrainte budgétaire (car la T2A est calculée au plus juste) et des arbitrages gestionnaires provoquent chez eux un trouble déontologique important. Ils n'ont plus le sentiment de pouvoir exercer leur métier selon les règles de l'art. Cela induit de la souffrance au travail et une fragilisation des identités professionnelles.

Jusqu'ici, ils avaient le sentiment qu'ils pouvaient encore soigner les gens correctement, au prix d'un accroissement des cadences et de la dégradation de leurs conditions de travail. Désormais, on attaque l'os. Avec l'aggravation programmée des pénuries d'effectifs et les tensions permanentes sur les ressources, on touche au coeur de la relation thérapeutique et de la qualité perçue par les professionnels de leurs services.

Enfin, ce qui fait mal aux hospitaliers, c'est le déni de leur spécificité. La réforme et sa rhétorique de l'hôpital-entreprise dissolvent les missions de l'hôpital public dans un management indifférencié, comme si, au fond, travailler dans le public ou le privé ne faisait aucune différence.

Propos recueillis par Cécile Prieur