vendredi 10 avril 2009

Hôpital, manif et grève des réunions

Hôpital, manif et grève des réunions , Eric Favereau, 10 avril 2009

Ce n'est pas la grève du bistouri, plutôt celle du stylo. En tout cas, c'est inédit. Mercredi soir, une motion a été adoptée à l'issue d'une AG des médecins de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, appelant à une «grève administrative immédiate» pour protester contre la loi Bachelot sur l'hôpital.

«Devant le refus du gouvernement d'accepter tout amendement à la loi dite Bachelot, la communauté médicale de l'AP-HP a décidé d'appeler à l'action l'ensemble des médecins des hôpitaux. À partir d'aujourd'hui, nous arrêtons toute participation aux activités de gestion hospitalière : comités exécutifs locaux, comités consultatifs médicaux, commission médicale d'établissement, réunion de pôles, etc.» Et ils ajoutent, menaçants : «Nous informons le gouvernement et les sénateurs qui vont discuter et voter la loi que, si elle n'est pas amendée, elle s'appliquera sans nous.»

Depuis maintenant trois semaines, le mouvement de grogne des médecins est monté, certes à la vitesse d'un train de sénateur et avec parfois beaucoup d'incohérence. Mais à force, il commence à prendre de l'ampleur. A Paris et dans toute l'Ile-de-France, des assemblées générales se sont tenues ces jours-ci dans les hôpitaux de l'AP : La Pitié, Saint-Louis, Tenon, Bichat, Beaujon, Bretonneau, Saint-Antoine. Tous adoptent une même motion, dénonçant cette loi qui «vise à démédicaliser les décisions».

Le coeur du litige, on le connaît, Nicolas Sarkozy l'a répété à maintes reprises : «Il faut un et un seul patron à l'hôpital.» Avec cette loi, adoptée le mois dernier par les députés et qui va être débattue à partir du 28 avril au Sénat, ce sera le cas. Le directeur aura des pouvoirs très étendus. Il présidera le directoire, nommera seu l les chefs de pôles, validera le projet médical. «On est passé de l'ère du mandarin à celle du PDG, analyse le Pr André Grimaldi, diabétologue à La Pitié, en pointe dans la contestation. Ce projet fait éclater la communauté hospitalière car c'est le directeur qui choisira, un par un, les médecins avec qui il veut travailler.»

Mercredi soir, dans un amphi de l'hôpital Cochin, à Paris, l'ambiance était à l'action. Avec une foule de près de 300 médecins, dont un grand nombre de stars de la médecine parisienne. Les propos sont virulents. «C'est historique, jamais les médecins ne se sont retrouvés ainsi, appuyés par toutes les organisations syndicales», répétait le Dr Bernard Granger, psychiatre, un des animateurs de la révolte. Tous appellent le personnel médical et les usagers de la santé à se joindre à eux. Avec, en point d'orgue, une manifestation, le 28 avril, jour de la reprise des débats. «Il faut que tout l'hôpital soit dans la rue, ce serait catastrophique s'il n'y avait que les médecins», a expliqué le Pr Lyon-Caen.

Cela sera-t-il suffisant, tant le mouvement est encore disparate ? Dans les tiroirs, d'autres actions sont en préparation. Ainsi, une lettre-pétititon a été signée par la grande majorité des chefs de pôles de l'Assistance publique, menaçant de démissionner. «Ce sera sans nous», écrivent-ils. Il y a également une lettre, écrite par les présidents des commissions médicales d'établissements (CME) et adressée aux sénateurs : «Mesdames et messieurs les sénateurs, il est encore temps de réagir et de changer la future loi. L'avenir des hôpitaux est entre vos mains ! Nous proposons, avec les présidents de CME de CHU, des amendements qui rendent nécessaires l'avis du représentant de la communauté médicale dans les processus de décision de la gouvernance de l'hôpital. Nous comptons sur votre attachement au bien public pour soutenir cette démarche.»

Nul ne doute du malaise ambiant. Pour autant, la suite est incertaine. Certes, cette grève administrative va perturber la vie des hôpitaux. Mais en province, la contestation est plus timide. «Ils sont gênés», lâche un médecin parisien. D'autant que le contexte politique est délicat. Tant à Matignon qu'au ministère de la Santé, on se dit «prêt à bouger» et à faire des concessions. «Mais tout se passe à l'Elysée, note le Pr Coriat. Et à l'Elysée, ils sont obsédés par une seule idée : un patron et un seul.»

Eric Favereau