mercredi 16 septembre 2015

Trou de la Sécu : la mémoire (très) courte des politiques

La Cour des comptes sonne l'alarme sur les comptes sociaux. Comme tous les ans depuis plus d'une décennie. Et sans aucun effet sur les gouvernements.

Par Sophie Coignard Publié le 16/09/2015 à 06:41
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« L'objectif affiché de retour à l'équilibre des comptes sociaux en 2017 est désormais reporté à un horizon indéfini. » Ainsi s'exprime la Cour des comptes dans son rapport annuel sur le financement de la Sécurité sociale. L'institution note que si le célèbre « trou » de la Sécu a un peu diminué - uniquement grâce à une augmentation des ressources, et non à une réduction des dépenses -, celui de l'Assurance-maladie, qui représente le plus gros morceau, a continué de se creuser : 6,5 milliards d'euros en 2014, 7,2 milliards en 2015.

Les raisons de ce nouveau dérapage sont multiples. Et les seuls éléments démographiques, tel le vieillissement de la population, ne suffisent pas à l'expliquer. Selon le dernier rapport de l'OCDE, organisation dont la plupart des pays membres connaissent les mêmes phénomènes structurels, la France arrive en troisième position sur 34 pays pour l'importance de ses dépenses de santé rapportées au PIB.

Il apparaît donc que la maison n'est pas tenue. Que les professionnels de santé sont parfois trop nombreux et, toujours, quelle que soit leur spécialité, mal répartis sur le territoire, préférant les Alpes-Maritimes ou la Corse à la Seine-Saint-Denis ou aux Ardennes.

Ainsi, les infirmiers qui exercent en libéral ont vu leur nombre augmenter de 75,4 % depuis 2000. C'est le résultat de l'élargissement des quotas d'étudiants au moment de la mise en place des 35 heures : il fallait recruter plus pour faire face à l'appel d'air ainsi créé. Le problème, c'est que personne n'a jamais pensé à les réduire une fois les postes pourvus dans les établissements de santé. Que croient les gouvernements successifs ? Que les infirmières en surnombre vont exercer un autre métier ? Non, elles exercent en libéral. Et facturent chaque année à la Sécu 6,6 % d'actes de plus.

Les kinésithérapeutes, médailles d'argent de l'inflation des soins, augmentent annuellement le volume de leurs honoraires de 4,3 %. Quant à la répartition des uns et des autres sur le territoire, elle va du simple au quintuple pour 100 000 habitants

« Ce n'est pas parce qu'on a voté une loi qu'on est obligé de l'appliquer »

Cette question du lieu d'installation n'est pas nouvelle. Au début des années 2000, il était déjà question de lier le conventionnement des nouveaux médecins à leur lieu d'installation, pour éviter les déserts médicaux et les zones de surpopulation où les praticiens se précipitent en masse. La mesure semble de bon sens : pour profiter du remboursement de ses actes par la collectivité, il est nécessaire de lui rendre un réel service.

Martine Aubry, alors ministre des Affaires sociales, n'a pas voulu en entendre parler.
Fin 2000, elle accepte néanmoins, pour maîtriser les dépenses, d'inscrire dans la loi de financement de la Sécurité sociale le système des « lettres-clés flottantes ». Les lettres-clés désignent les actes pratiqués par les différentes catégories de soignants conventionnés. Avec le flottement, tout dépassement en volume provoquait une baisse équivalente des tarifs, pour rester en croissance zéro.
À peine adoptée, cette mesure a suscité l'effroi dans le monde politique. Au point que le président de la commission des Affaires sociales a fait très vite cette étonnante recommandation au patron de la Cnam : « Ce n'est pas parce qu'une loi est votée qu'il faut l'appliquer. »

Cette année, une décennie et demie plus tard, la Cour durcit le ton, peut-être pour tenter de se faire entendre du gouvernement. C'est malheureusement peu probable. Il y a deux ans, sur les médecins biologistes, celui-ci a fait tout le contraire de ce qui était préconisé : laisser filer la dépense plutôt que mécontenter une catégorie professionnelle.