Le syndrome des universités gagne l'hôpital, Le Monde , 22 avril 2009
Désamorcer le conflit hospitalier avant qu'il ne prenne trop d'ampleur : face à la colère croissante des médecins et du personnel soignant contre le projet de loi Bachelot et la menace d'une journée de grève et de manifestation, à Paris, le 28 avril 2009, l'Elysée cherche à rassurer la communauté médicale.
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, devrait rencontrer mercredi 22 avril 2009, lors d'une réunion informelle, des représentants des médecins qui s'opposent à la réforme de la gouvernance hospitalière inscrite dans la loi "Hôpital, patients, santé et territoires".
Le gouvernement pourrait ainsi accepter d'amender le projet de loi, qui sera examiné par le Sénat à partir du 11 mai, en permettant que les médecins soient mieux associés aux décisions de nominations les concernant.
Depuis plus d'un mois, les médecins hospitaliers contestent les dispositions de la loi Bachelot en l'accusant de confier aux directeurs d'hôpitaux (non médecins) tous les pouvoirs de nomination et de gestion.
Réunis en assemblées générales, les personnels soignants de tous les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont voté des motions appelant à la grève, avant d'être rejoints par les principaux syndicats de médecins et d'agents hospitaliers.
Jeudi 16 avril 2009, 25 patrons de l'AP-HP lançaient un appel dans Le Nouvel Observateur dénonçant une "loi qui cale l'hôpital sur l'entreprise". Le lendemain, la ministre de la santé répliquait en demandant que "les médecins signataires lisent la loi au lieu de la caricaturer", en admettant que "le texte peut encore évoluer".
COMPROMIS DIFFICILE
Depuis, chacun cherche à calmer le jeu. Vendredi, une réunion s'est tenue, sous l'égide de la Fédération hospitalière de France (FHF), entre les représentants des directeurs d'hôpitaux et ceux des présidents de Commissions médicales d'établissement (CME) afin de trouver un compromis.
Alors que, dans la version actuelle du texte, les directeurs devront nommer seuls les médecins chefs de pôle, ainsi que les membres médicaux du futur directoire, ils pourraient le faire, désormais, sur proposition des présidents de CME, qui sont élus par leurs pairs.
Le compromis est difficile, car les directeurs veulent garder le dernier mot sur les nominations tandis que les médecins souhaitent un droit de regard plus important sur l'élaboration du projet médical, notamment.
Dans un courrier adressé à l'Elysée mardi, les représentants des directeurs d'hôpitaux ont demandé au président de la République de ne pas "vider de tout sens" la réforme de l'hôpital, face au mécontentement exprimé par la communauté médicale.
"Il s'agit de trouver une rédaction équilibrée qui valorise l'autorité morale des médecins tout en permettant au directeur de mener à bien son projet d'établissement", fait-on valoir au ministère de la santé.
Ces modifications pourraient être reprises par voie d'amendements lors de l'examen du texte par la commission des affaires sociales du Sénat, le 29 avril 2009.
Il n'est toutefois pas certain que ces concessions suffisent à calmer la grogne. Car d'autres sujets cristallisent désormais le mécontentement.
Dans un contexte de pénurie budgétaire pour les hôpitaux et de multiplication des plans de suppressions de postes, le mouvement fédère largement sur une revendication de sauvegarde de l'emploi.
Par ailleurs, les contestataires dénoncent la convergence des systèmes de financement des hôpitaux publics avec les cliniques privées, prévue pour 2012.
"Cette loi transcende les clivages traditionnels de l'hôpital, relève Bernard Granger, psychiatre et initiateur du Mouvement de défense de l'hôpital public. Le fait que des médecins fassent grève côte à côte avec des personnels soignants est historique, on n'a jamais vu ça."
"RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES"
"Le gouvernement n'a pas vraiment pris la mesure de ce qu'il y avait de profond dans nos revendications, explique pour sa part le neurologue Olivier Lyon-Caen, signataire de l'Appel des 25. Il ne perçoit pas la situation de souffrance des personnels soignants et l'incompréhension que suscite sa politique de restrictions budgétaires."
La suite du mouvement dépendra en partie de l'ampleur de la mobilisation, le 28 avril 2009.
"On est dans un moment charnière, estime François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière, qui soutient l'appel à la grève. Il y a deux écueils possibles : qu'on verse dans une vision par trop entrepreneuriale de l'hôpital, qui découragerait les médecins de participer à la gestion médico-économique ; ou qu'on aboutisse à un rejet global du texte, qui signerait la victoire de tous les corporatismes."
Cécile Prieur