samedi 30 octobre 2010

Les accablantes irrégularités du service de chirurgie cardiaque du CHR de Metz

Le Point, 30 octobre 2010

L'enquête progresse et les charges s'accumulent sur le service de chirurgie cardiaque de l'hôpital Bon-Secours au CHR de Metz dont l'activité a été suspendue en urgence il y a trois semaine, à la suite de la découverte d'une surmortalité opératoire suspecte.

Le Dr Jean-Yves Grall, à la tête de l'Agence régionale de la santé (ARS) de Lorraine, qui avait pris cette décision exceptionnelle, a alors confié à plusieurs experts une mission d'inspection complémentaire.

Le premier volet portait sur le fonctionnement médical du service, l'autre sur l'activité privée exercée dans cet hôpital public par le patron de l'unité, le Dr Pierre-Michel Roux.

Selon nos informations, les faits constatés par les enquêteurs, et notamment trois médecins spécialistes éminents, sont accablants.

La mortalité globale enregistrée dans le service au cours des dix premiers mois de 2010 est identique à celle de 2009, et représente près du double de la mortalité globale des services analogues français.

La mortalité liée à des opérations de remplacement des valves cardiaques a cru en 2010 par rapport à 2009 (21% contre 19%) et elle est près de 4 fois supérieure à la mortalité nationale dans cette même chirurgie.

Les pratiques médicales sont défectueuses, la pertinence des actes et des indications opératoires laisse parfois à désirer, les "indications sont peu discutées" et "il n'y a pas de réelle évaluation en termes de bénéfice-risque de l'intervention avant celle-ci", ni de "culture du développement des alternatives thérapeutiques", soulignent les enquêteurs.

Les compétences en question

L'accroissement de l'activité du service, au demeurant inférieure au seuil limite réglementaire, est recherché à tout prix. Les gestes opératoires sont "multiples et extensifs" dans un nombre étrangement élevé de cas.

C'est-à-dire que très souvent - trop, s'étonnent les experts -, lors d'un remplacement de la valve aortique, l'autre valve du coeur, la mitrale, est aussi changée.

"Certains de ces actes sont non validés, non indiqués, voire franchement délétères", tranchent les experts, et "beaucoup de ces gestes ne correspondent à aucune des recommandations des sociétés savantes françaises, européennes ou américaines". De telles mauvaises pratiques entraînent forcément de sombres résultats.

"Un nombre important de décès survient chez des patients peu âgés et à faible risque liés à des gestes longs et extrêmement complexes." Les temps anormalement longs de mise au repos du coeur et d'installation d'une circulation extra-corporelle nécessités par des durées d'opération elles-mêmes trop élevées induisent un nombre de chocs septiques post-opératoires important.

La question de la formation et de la compétence des intervenants non chirurgicaux, en particulier en réanimation, est clairement posée par les inspecteurs.

Enfin, et c'est l'autre aspect, financier et déontologique, "l'activité privée du service connaît de graves irrégularités".

L'information reçue par le patient avant l'opération est opaque, il est mal ou il n'est pas du tout averti des dépassements d'honoraires qui lui sont souvent demandés.

Les devis préalables qui doivent réglementairement leur être soumis avant l'intervention sont curieusement souvent absents des dossiers médicaux stockés dans le service, et parfois ils sont signés rétroactivement, c'est -à-dire après l'intervention, ou incomplets, ou inexacts.

L'organisation de l'activité privée du Dr Roux est "non réglementaire, voire illégale". En 2009, les honoraires perçus par ce praticien, en plus de son traitement de médecin hospitalier, se sont élevés à 320.000 euros !

Nouvelle équipe chirurgicale

Sans plus attendre, le directeur de l'ARS, le Dr Jean-Yves Grall, a décidé la suspension d'exercice au CHR de Metz, à titre conservatoire, du Dr Pierre-Michel Roux avec engagement d'une procédure disciplinaire.

Il envisage une réouverture du service de chirurgie cardiaque du CHR messin dans plusieurs semaines, à la condition sine qua non de la reconstitution d'une nouvelle équipe chirurgicale.

Pour sa défense, le Dr Pierre-Michel Roux invoque une fragilité particulière des patients qu'il opère.

"Nous prenons en charge des malades à très haut risque chirurgical. Des malades âgés ou très âgés, porteurs de pathologies cardiaques gravissimes et de multiples autres pathologies associées. Refuser d'opérer ces malades aurait amélioré les statistiques de mortalité. Nous avons fait le choix d'opérer des patients et non celui des statistiques."

L'équipe de chirurgie cardiaque du CHR de Metz serait-elle l'ultime recours pour des malades qui ne seraient pas opérés ailleurs?

Le Dr Roux avance cet argument depuis plusieurs années lors de procès que certaines familles mécontentes ou endeuillées intentent contre lui. Comment encore y croire ?

Les experts balaient cette stratégie : ils ont calculé une nette surmortalité chez les malades à haut risque opérés au CHR de Metz par rapport aux malades à haut risque opérés dans tous les autres services de chirurgie cardiaques français.

À l'heure actuelle, les malades lorrains relevant d'une opération du coeur sont officiellement orientés vers les services spécialisés du CHU de Nancy ou de l'hôpital privé Claude-Bernard à Metz, au fonctionnement sans histoire.

mercredi 13 octobre 2010

Coût de la santé : le mensonge par omission du gouvernement

Le Monde, 13 octobre 2010

Le système de remboursement des dépenses de santé des Français est-il en train, insidieusement, de changer ?

Alors que devait être présenté en conseil des ministres, mercredi 13 octobre 2010, le budget 2011 de la Sécurité sociale qui prévoit de nouvelles mesures d'économie touchant les assurés sociaux, les sondages sur la perception du système de santé se multiplient.

Le dernier en date, réalisé par le Collectif interassociatif sur la santé avec Viavoice et rendu public mardi 12 octobre, souligne les craintes des Français sur l'évolution de leur prise en charge et aborde les renoncements aux soins.

Il s'en dégage que 53 % des sondés estiment que la priorité d'une réforme du système de santé devrait être de maintenir un bon niveau de remboursement par la "Sécu".

Pourtant, en présentant le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, fin septembre 2010, Roselyne Bachelot, la ministre de la santé, a rappelé que le "reste à charge" des Français ne s'élève qu'à 9,4 %, "signe que nous consolidons notre très haut niveau de couverture". Elle juge infondées les "plaintes régulières sur le désengagement de l'assurance-maladie". Circulez, il n'y a rien à voir ?

Il n'est pas sûr qu'un tel discours soit à même de convaincre.

Depuis 2004, ont été mises en place des mesures d'économies, comme le forfait de 1 euro par consultation ou la franchise sur les boîtes de médicaments. En 2011, le taux de remboursement des produits à vignette bleue devrait baisser de 35 % à 30 %.

L'effet de telles mesures fait débat. Certains y voient le signe d'un changement de système, d'autres affirment le contraire, rappelant que la prise en charge, à plus de 75 %, par l'assurance-maladie, reste stable.

Mais la ministre de la santé reconnaît à demi-mot une évolution, quand elle indique que le recentrage sur l'hôpital et la maladie grave est "une nécessité morale".

Il y aura bientôt un an, l'économiste de la santé, Didier Tabuteau, avait interpellé les pouvoirs publics en affirmant que, pour les soins courants, les remboursements ne s'élevaient plus qu'à 55 %. Il réclamait de la transparence et un débat public sur cette évolution rampante du système. Aucun chiffre précis n'avait alors été apporté en réponse.

Mais même si le taux de 75,5 % de prise en charge en 2009 est toujours mis en avant, beaucoup d'observateurs et de dirigeants du monde de la santé jugent peu à peu légitime d'aller interroger la réalité de plus près.

Discrètement, des chiffres à ce sujet ont été publiés dans les Comptes de la santé 2009, en septembre 2010. Issus d'un modèle de micro-simulation de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ils détaillent les niveaux de remboursement selon que les patients sont, ou non, en affection de longue durée (ALD - cancer, diabète...) : si à l'hôpital la prise en charge reste pour tous supérieure à 90 %, en soins de ville la différence est nette.

Les patients en ALD y bénéficient d'un remboursement à 85 % par la "Sécu", quand les autres ne perçoivent effectivement que 55 %. Rien de plus logique à cela : si la part de l'assurance-maladie reste stable, comme les dépenses d'ALD ne cessent d'augmenter, d'autres postes ont diminué.

Expliquer que, pour les patients non atteints de maladies chroniques, seuls 55 % des soins de ville sont remboursés serait-il trop risqué politiquement ?

En tout cas, ce qui se dit entre personnes bien informées, les Français n'en entendent pour l'instant pas parler. Le débat est inexistant, comme s'il apparaissait évident qu'un consensus ne saurait se dégager sur la répartition des remboursements, voire que le sujet est trop complexe pour que la population s'y intéresse.

On peut pourtant se demander si ce défaut de pédagogie et ce rappel constant à un taux de prise en charge global, certes élevé mais qui ne correspond pas au ressenti d'une grande partie de la population, ne comportent pas tout autant un risque de remise en cause du système.

De même, les pouvoirs publics persistent à expliquer que le taux restant à la charge des assurés sociaux en France est de 9,4 %, soit l'un des plus bas des pays occidentaux.

Là encore, s'agit-il de l'indicateur le plus parlant pour les Français ? Ne faut-il pas ajouter, à ce qui leur reste concrètement à payer, les frais de complémentaires santé qui représentent une forte proportion du budget de certains ménages, et qui n'ont cessé d'augmenter, comme le dénoncent les associations de consommateurs ?

Face aux inquiétudes des Français, et à la poursuite des mesures de transfert de la "Sécu", il semble urgent d'y voir plus clair.

Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, qui a jugé nécessaire de consacrer son prochain rapport annuel au "reste à charge" des Français, pourrait apporter là une contribution précieuse. Ses membres s'apprêtent à en commencer l'examen.

Outre une mise à plat des niveaux de remboursement en fonction de l'effort fourni par les diverses catégories de population, il devrait s'attaquer à des questions délicates à trancher : quel doit être le rôle de l'assurance-maladie et le remplit-elle ? Quels indicateurs retenir pour évoquer au mieux le reste à charge des assurés et capter les évolutions du système, etc. ?

Ensuite, il faut l'espérer, le débat pourra sortir de la caricature et s'ouvrir à tous.

Courriel : clavreul@lemonde.fr. - Laetitia Clavreul (Service France)

mardi 12 octobre 2010

L'Europe se ligue contre les cancers rares

Le Figaro, 12 octobre 2010

Le Figaro se penche sur les « oubliés de la cancérologie » : « Les patients atteints d'un cancer rare souffrent souvent d'un diagnostic tardif. Ils peinent à accéder à des centres de prise en charge spécialisés. Sans compter les difficultés pour participer à des essais cliniques, bénéficier d'innovations thérapeutiques… ».

Le journal indique que « face à ces injustices, des représentants de malades, médecins, chercheurs, sociétés savantes, institutions et laboratoires pharmaceutiques se sont unis pour mener une bataille à l'échelle européenne. Les actions de ce consortium, nommé European Action Against Rare Cancers, ont été présentées la semaine dernière au congrès annuel de la Société européenne d'oncologie médicale (ESMO) qui se tenait à Milan (Italie) ».

Le Figaro note que « pour le consortium européen, l'objectif consiste désormais à trouver des partenaires et à mettre en musique 39 recommandations adoptées l'an dernier ».

Le Pr Paolo Casali, cancérologue à Milan, a ainsi déclaré qu’« il y a trois grandes priorités : adapter les essais cliniques, organiser la prise en charge des malades et permettre à ces derniers d'accéder aux nouveaux traitements ».
De son côté, Kathy Olivier, de l'Alliance internationale contre les tumeurs cérébrales, remarque : « Il est difficile de réaliser ce que vit une personne atteinte d'un cancer rare. Même dans les pays riches, ces malades ont parfois l'impression qu'on les laisse tomber. […] Nous avons désespérément besoin d'essais cliniques pour les cancers rares en Europe, c'est crucial ».

Le Figaro relève que « le problème, pour les chercheurs, est que les méthodologies habituelles sont inapplicables ». Le Pr Jean-Yves Blay, oncologue au centre Léon Bérard de Lyon et président de l'European Organisation for Research and Treatment of Cancer, indique qu’« il est difficile de réunir un grand nombre de patients et de monter des études randomisées. Et même quand on y parvient, les autorités sanitaires ne sont pas nécessairement convaincues ».

Le quotidien conclut cependant que « s'il reste beaucoup à faire pour améliorer la prise en charge de ces malades, la France n'est pas à la traîne. Dans le cadre du plan cancer, la prise en charge de huit cancers rares (dont les sarcomes et des tumeurs endocriniennes) est en train de s'organiser autour de centres de référence nationaux et régionaux ».

samedi 9 octobre 2010

Aide médicale d'Etat : ces vérités qui dérangent

Le Figaro, 8 octobre 2010

Depuis dix ans, les étrangers en situation irrégulière peuvent se faire soigner gratuitement en France grâce à l'Aide médicale d'Etat (AME). Mais le coût du dispositif explose. Afin de comprendre pourquoi, Le Figaro Magazine a enquêté auprès des médecins, des hôpitaux et des pharmaciens. Et fait réagir les associations.

Une enquête sur l'Aide médicale d'Etat? Sauve qui peut! Dans les ministères, les administrations, les associations humanitaires, la simple évocation de ce dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de se faire soigner gratuitement déclenche une poussée d'adrénaline.

«Le sujet est explosif! s'étrangle un haut fonctionnaire qui connaît bien le dossier. Vous voulez vraiment envoyer tout le monde chez Marine Le Pen?»

La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a pris la mesure de l'hypersensibilité du dossier lorsqu'elle a timidement évoqué devant les parlementaires, en juillet, l'idée de faire acquitter aux bénéficiaires de l'AME une contribution forfaitaire de 15 à 30 euros par an.

Les associations ont aussitôt accusé Mme Bachelot de vouloir grappiller quelques euros sur le dos des damnés de la terre.

Silence gêné à Bercy, où l'on prépare un tour de vis sans précédent sur le train de vie de la nation: «coup de rabot» sur les niches fiscales, suppressions de postes de fonctionnaires, déremboursements de médicaments...

Mais toucher à l'AME n'est tout simplement pas prévu au programme de la rigueur. Le projet de budget pour 2011 prévoit même une augmentation de 10 % !

Depuis deux ans, la facture de la couverture médicale des sans-papiers s'envole. Son rythme de progression est trois à quatre fois supérieur à celui des dépenses de santé de tout le pays: + 13 % en 2009 (530 millions d'euros pour 210.000 bénéficiaires) et encore + 17 % au début de cette année.

De toute évidence, l'enveloppe de 535 millions d'euros prévue en 2010 sera largement dépassée. Pour l'an prochain, ce sont 588 millions d'euros que Bercy a mis de côté pour l'AME.

Soit, à peu de chose près, le montant des recettes fiscales que le gouvernement veut récupérer sur les mariés/pacsés/divorcés, ou encore le coût global du bouclier fiscal, qui fait tant couler d'encre.

Afin d'y voir plus clair, les ministères de la Santé et du Budget ont commandé un nouveau rapport à leurs services d'inspection.

L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) ont déjà planché à deux reprises, en 2003 et en 2007, sur les nombreuses dérives de l'AME et ont émis des recommandations qui ont été partiellement suivies par les pouvoirs publics... des années plus tard.

Ainsi, il a fallu attendre cette année pour que les attestations d'AME soient plastifiées et comportent la photo du titulaire.

Pourquoi tant de gêne? Echaudé par la séquence «identité nationale» et l'affaire des Roms, le gouvernement n'a visiblement aucune envie d'exacerber le ras-le-bol d'une opinion publique déjà exaspérée par la montée de la délinquance. Inutile non plus d'agiter un nouveau chiffon rouge sous le nez des associations, déjà très énervées par le projet de loi Besson sur l'immigration.

Ces dernières sont sur le pied de guerre, déterminées à défendre jusqu'au bout l'accès aux soins gratuit et sans restriction des sans-papiers. «Au nom d'une certaine idée de la France», martèle Pierre Henry, le président de France Terre d'asile, mais aussi parce qu'«il s'agit d'une question de santé publique» face à la recrudescence d'épidémies. Excédé qu'«on se serve de quelques cas particuliers pour faire des généralités» et jeter l'opprobre sur l'AME, Pierre Henry réfute toute idée de ticket modérateur: «Quand vous n'avez pas de ressources, chaque centime d'euro compte. Quand vous vivez dans une précarité extrême, il n'y a pas de médecine de confort.» La Cimade, association protestante très active auprès des sans-papiers, somme les pouvoirs publics de ne pas «stigmatiser encore un peu plus les étrangers».

Il n'empêche, les députés de droite, plusieurs fois lâchés en rase campagne sur l'AME par les gouvernements en place, ont l'intention de revenir à la charge. Au front, comme souvent sur les questions d'immigration, les députés UMP Claude Goasguen et Thierry Mariani n'entendent pas céder au «terrorisme intellectuel autour de ce dossier». A l'occasion de la discussion budgétaire, ces jours-ci, ils veulent ferrailler pour obtenir une «redéfinition des soins» éligibles à l'AME. En clair, réserver le dispositif aux soins d'urgence. «Il y a une vraie exaspération sur le terrain. Chacun doit maintenant prendre ses responsabilités», préviennent ces deux élus.

Pour la première fois, les parlementaires pourraient rencontrer le soutien de la communauté médicale. Car médecins, pharmaciens, infirmières et même certains militants associatifs commencent à dénoncer un système sans limite ni contrôle, parfois détourné de son objectif initial, voire carrément fraudé.

C'est Laurent Lantieri qui, le premier, a mis les pieds dans le plat. Dans un entretien à L'Express publié début septembre, le grand spécialiste français de la greffe du visage a confié son agacement de voir les principes du service public «dévoyés» avec l'AME. «Soigner les étrangers en cas d'urgence ou pour des maladies contagieuses qui pourraient se propager me paraît légitime et nécessaire, prend-il soin de préciser. En revanche, je vois arriver à ma consultation des patients qui abusent du système.» Et de raconter l'histoire de cet Egyptien qui avait eu le doigt coupé bien avant de s'installer en France et demandait «une opération de reconstruction», prétextant qu'il n'avait pas confiance dans la médecine de son pays. «En réalité, poursuit le chirurgien, ce monsieur s'était d'abord rendu en Allemagne, mais il jugeait bien trop élevée la facture qu'on lui avait présentée là-bas. Une fois en France, il avait obtenu l'AME et il estimait avoir droit à l'opération!» Ce que Laurent Lantieri lui refusa.

Du tourisme médical aux frais du contribuable? Claudine Blanchet-Bardon n'est pas loin de le penser. Cette éminente spécialiste des maladies génétiques de la peau voit parfois débarquer à sa consultation de l'hôpital Saint-Louis des patients AME venus du bout du monde exprès pour la voir. «Je vais vous dire comment ça se passe, confie-t-elle. Ils tapent le nom de leur maladie sur internet au fin fond de la Chine, tombent sur mon nom parmi d'autres et découvrent qu'en France, ils peuvent se faire soigner gratuitement. Ils arrivent clandestinement ici, restent tranquilles pendant trois mois et débarquent à ma consultation avec leur attestation AME, accompagnés d'un interprète. L'interprète, lui, ils le payent.» Le coût des traitements au long cours de ce type d'affection se chiffre en dizaines de milliers d'euros par an.

Avec certains pays proches comme l'Algérie, l'affaire est encore plus simple. Un cancérologue raconte, sous le couvert d'anonymat : «Nous avons des patients qui vivent en Algérie et qui ont l'AME. Ils viennent en France régulièrement pour leur traitement, puis repartent chez eux. Ils ne payent que l'avion...»

De plus en plus de médecins réclament un «véritable contrôle médical lors de l'attribution de l'AME». Ou, au moins, un accord de la Sécu avant d'engager certains soins. Car, à la différence de l'assuré social lambda, le bénéficiaire de l'AME n'a nul besoin d'obtenir une «entente préalable» avant d'engager des soins importants. C'est ainsi que des femmes sans-papiers peuvent faire valoir leurs droits à des traitements d'aide médicale à la procréation. «Pur fantasme!» s'insurgent les associations. «Elles ne sont pas très nombreuses, mais on en voit...» répond une infirmière d'une grande maternité de l'est de Paris, choquée que «la collectivité encourage des femmes vivant dans la clandestinité et la précarité à faire des enfants». Chaque tentative de fécondation in vitro (FIV) coûtant entre 8000 et 10.000 euros, la question mérite effectivement d'être posée.

Le député Thierry Mariani n'en finit pas de citer cet article paru il y a deux ans et demi dans Libération* qui raconte l'histoire incroyable d'un couple de Camerounais sans-papiers qui voulait un enfant. Monsieur est «séropositif, il a deux autres femmes et sept enfants au Cameroun». Suivi en France pour son sida, il vient de se marier pour la troisième fois, mais sa jeune femme «n'arrive pas à être enceinte» et «s'est installée dans la banlieue parisienne depuis qu'elle a décidé de tenter une FIV. (...) Sans papiers, elle est en attente de l'Aide médicale d'Etat». Les médecins étaient, paraît-il, «perplexes» face à cette demande, mais ils finiront par y accéder.

A l'heure où les hôpitaux croulent sous les déficits, «cette distribution aveugle de l'AME», selon le mot de Mme Blanchet-Bardon, finit par excéder les praticiens hospitaliers, «coincés entre leur devoir de soignant et les limites de la solidarité nationale».

Pierre Henry, de France Terre d'asile, balaie les allégations de tricheries : «S'il y a des abus, les premiers coupables sont les médecins.» Mais le corps médical renvoie, lui, vers la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) qui délivre le précieux sésame. «Nous, on est là pour soigner, pas pour vérifier les attestations AME», souligne un médecin urgentiste.

Le problème est que la CPAM ne fait elle-même qu'appliquer des textes d'une extrême légèreté, les seules conditions requises pour obtenir l'AME étant trois mois de résidence en France et des ressources inférieures à 634 euros par mois. Les demandeurs étant clandestins, le calcul des ressources relève de la fiction. «Nous prenons en compte les ressources au sens large: il s'agit plutôt des moyens de subsistance», explique un travailleur social, qui concède n'avoir aucun moyen de vérifier les dires du demandeur.

En l'absence de données fiables, la situation des bénéficiaires de l'aide médicale est l'objet de vastes débats. Pour les associations, «l'extrême précarité» des immigrés clandestins justifie pleinement leur prise en charge totale par la solidarité nationale. Une affirmation qui doit être quelque peu nuancée. Selon une enquête réalisée en 2008 par la Direction des études du ministère des Affaires sociales (Drees) auprès des bénéficiaires de l'AME résidant en Ile-de-France, «près de 8hommes et 6femmes sur 10 travaillent ou ont travaillé en France». Il s'agit essentiellement d'emplois dans le bâtiment, la restauration et la manutention pour les hommes, de ménage et de garde d'enfants pour les femmes.

L'hôpital représente un peu plus des deux tiers des dépenses AME, le solde relevant de la médecine de ville. Très souvent refusés par les praticiens libéraux en secteur II (honoraires libres), ces patients fréquentent assidûment les centres médicaux des grandes villes où toutes les spécialités sont regroupées. «Comme c'est gratuit, ils reviennent souvent», soupire une généraliste qui se souvient encore de la réaction indignée d'une de ses patientes, tout juste régularisée, à qui elle expliquait qu'«elle allait dorénavant payer un peu pour ses médicaments, et que pour (eux) aussi, c'était comme ça...».

Aucun soignant - ni aucun élu d'ailleurs - ne remet en cause l'existence de l'AME ni sa vocation dans la lutte contre la propagation des épidémies, notamment de la tuberculose, en pleine recrudescence. Dans l'est de Paris, une épidémie de gale qui avait frappé un camp d'exilés afghans l'an dernier a pu être éradiquée efficacement grâce à l'aide médicale. Mais c'est la gratuité généralisée des soins qui choque un nombre croissant de médecins et de pharmaciens.

Dans cette officine proche d'une gare parisienne, on voit défiler chaque jour une dizaine de clients avec une attestation AME. «Pour la plupart, c'est de la bobologie: aspirine, sirop...» raconte la pharmacienne, qui vérifie avec soin les documents présentés. «La paperasserie, c'est l'horreur. Les attestations papier sont tellement faciles à falsifier.»Parfois, la clientèle AME est plus nombreuse, comme dans ce quartier du Xe arrondissement de Paris où les bobos cohabitent avec une forte population immigrée. «Sur 60ordonnances par jour, je fais une vingtaine d'AME», raconte la gérante d'une pharmacie. Dans le lot figurent presque à chaque fois deux ou trois trithérapies (traitements anti-sida) et autant de Subutex (traitement de substitution à l'héroïne). «Le reste, poursuit-elle, ce sont généralement des traitements pour les petites maladies des enfants, des gouttes, des vitamines, car nous avons une forte communauté asiatique dans le quartier.»

Les pharmaciens sont particulièrement vigilants sur le Subutex, objet de tous les trafics. Même si la Sécu veille au grain, il est bien difficile d'empêcher un patient muni de son ordonnance de faire la tournée des pharmacies pour se fournir en Subutex avant de le revendre. Le tout sans débourser un euro. Il y a deux ans, un vaste trafic de Subutex, via l'AME, a été démantelé entre la France et la Géorgie. «L'AME, c'est une pompe aspirante», insiste un autre pharmacien, las de distribuer toute la journée gratuitement des médicaments de confort et des traitements coûteux à «des gens qui n'ont en principe pas de papiers en France, alors que les petites dames âgées du quartier n'arrivent pas à se soigner».

Sur le terrain, l'explosion des dépenses a été ressentie par tous. Et chacun a son explication. Pour les associations, c'est le résultat de la politique anti-immigration du gouvernement. Le durcissement du droit d'asile aurait rejeté dans la clandestinité un nombre plus élevé d'exilés. En outre, les sans-papiers, craignant plus que jamais d'être interpellés, attendraient la dernière minute pour aller se faire soigner. «De plus en plus de patients arrivent chez nous dans un état de santé extrêmement délabré», souligne-t-on à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont les 45 établissements ont vu leur facture AME grimper de 16 % l'an dernier (à plus de 113 millions d'euros). Des soins plus complexes et des durées de séjour plus longues font flamber les coûts.

Les travailleurs sociaux ont aussi noté depuis le printemps 2009 un afflux d'immigrants d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique: des Roumains et des Bulgares (souvent des Roms), mais aussi des Tchétchènes, des Kirghiz, des Géorgiens, et même des Russes. Les associations sont débordées par ces arrivées de familles entières. «On ne va pas pouvoir accueillir tout le monde», soupire Geneviève, permanente dans un centre d'accueil pour étrangers, qui se souvient d'un Roumain arrivé en France il y a peu, avec pour seul bagage un petit bout de papier sur lequel son passeur avait écrit: «Ici boire manger dormir argent.»

* Libération du 24 janvier 2008.

jeudi 7 octobre 2010

Espérance de vie : les Etats-Unis reculent au classement des pays industrialisés

Le Monde, 7 octobre 2010

L'espérance de vie ne fait plus guère de progrès aux Etats-Unis et le pays recule au classement des grands pays industrialisés en la matière, selon une étude américaine publiée jeudi 7 octobre.

Les chances de vivre encore quinze ans pour les hommes de 45 ans sont ainsi en recul par rapport à douze autres pays, affirme l'étude menée par l'université Columbia pour le Commonwealth Fund, un centre de réflexion sur la santé.

Les Etats-Unis se plaçaient en 2005 au dernier rang de ce classement, alors qu'en 1975 ils occupaient la troisième place. Les Américains vivent par exemple 5,7 années de moins "en bonne santé" que les Japonais, assure l'étude.

Selon le classement de l'étude, c'est en Australie que les hommes ont le plus de chances de survivre quinze ans après 45 ans, suivie en 2e position par la Suède, puis au 3e rang par l'Italie et la Suisse. Le Royaume-Uni est 5e devant les Pays-Bas, le Canada, le Japon. La France, la Belgique et l'Allemagne sont ex-aequo à la huitième position. Les Etats-Unis arrivent lanterne rouge dans ce classement.

Quant aux Américaines de 45 ans, elles ont un taux de survie à quinze ans qui égale celui des Suissesses, des Suédoises et des Japonaises à leurs niveaux de 1975.

SYSTÈME DE SANTÉ INEFFICACE ET ONÉREUX

"Les Etats-Unis sont à la traîne des autres pays en terme d'espérance de vie et les causes communément citées pour expliquer cela – l'obésité, le tabagisme, les homicides – ne sont pas les facteurs à blâmer", estiment les chercheurs.

"Si les Américains ont plus tendance à être obèses aujourd'hui, c'était déjà le cas par rapport aux autres pays en 1975", affirme l'étude. Quant au tabagisme, relativement comparable dans les pays industrialisés, il a connu un plus fort déclin aux Etats-Unis.

"Le fait que les Américains dépensent davantage en matière de santé mais vivent moins longtemps et en moins bonne santé a conduit à faire dire à certains que le système de santé aux Etats-Unis est inefficace en soi", explique l'étude.

"Les dépenses de santé par tête d'habitant ont progressé aux Etats-Unis à un rythme deux fois supérieur à celui d'autres pays entre 1970 et 2002", notent les chercheurs.

Le président américain Barack Obama a promulgué au début de l'année une loi historique visant à étendre à terme la couverture-santé à 32 millions d'Américains supplémentaires.

mercredi 6 octobre 2010

Les Urgences de Paris au bord de l'explosion dans l'indifférence générale

Urgences, ça explose à Paris, 6 octobre 2010

Depuis quelques jours, la situation dans les services d'urgences des hopitaux de Paris se tend sérieusement. A l'image du service de l'hôpital Tenon, en grève et à deux doigts d'exploser. Voiçi la lettre qu'a adressé, hier, mardi, le chef des urgences de l'hopital la Pitié, Bruno Riou, au professeur André Grimaldi, un des portes paroles des médecins hospitaliers, pour expliquer la situation. Inquiétant, pour le moins.

Cher André

Un point sur la situation du SAU de Tenon et la réunion de crise qui s'est tenu au siège de l'APHP ce soir. Un bref rappel: le SAU de Tenon est en grande difficulté depuis de nombreuses semaines en terme d'IDE avec un épisode de quasi fermeture avec demande de délestage total début septembre (qui n'a débouché sur aucune mesure de fond!), une fermeture de l'Unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD) depuis 12 jours, et ce week-end une impossibilité de faire fonctionner l'ensemble du SAU avec l'arrêt de travail inopiné des 3 dernières IDE prévues pour l'accueil. Conséquence, une surcharge immédiate considérable de Saint-Antoine avec une conférence téléphonique de crise qui s'est tenue dimanche, arrachée par les urgentistes à l'administrateur de garde de l'APHP (48 heures pour l'obtenir !). Lors de la réunion de ce soir, la Collégiale des chefs de service d’urgence de l'APHP, menée par son Président Enrique Casalino, a exprimée sa colère devant une situation qui était prévisible de longue date et une gestion qui n'a pas été à la hauteur de la gravité du dysfonctionnement. La Collégiale a notamment:

- marqué sa désapprobation de n'avoir pas été mise dans la boucle très tôt pour anticiper et gérer ces problèmes graves;

- a constaté qu'il y avait eu fermeture de l'UHCD depuis de très nombreux jours ce qui constitue d'une part une fermeture de fait d'une structure d'urgence et une mise en danger des patients; la Collégiale a affirmé le principe suivant lequel la dernière structure qui doit fermer dans un hôpital c'est bien le SAU et que l'UHCD est indissociable du SAU; personne n'a semblé contredire ce principe;

- a constaté l'incapacité de Tenon à maintenir coûte que coûte son SAU ouvert et l'incapacité de l'APHP à mobiliser ne serait-ce qu'une IDE sur Tenon pour maintenir une UHCD ouverte.

La réunion a ensuite cherché à dégager des solutions pour refaire fonctionner le SAU de Tenon dés demain. Il a été rappelé que la situation ordinaire de Tenon (10 à 15 patients couchés sur des brancards faute de lits) est en soit une situation totalement inacceptable. Il est clair que le rabotage des emplois IDE et AS a abouti à exposer le SAU (mais aussi l'ensemble de l'hôpital Tenon) à une situation de précarité extrême sans aucune marge de manoeuvre pendant la période déjà habituellement difficile de septembre à décembre du fait que les recrutements de nouvelles IDE n'interviendront pas avant décembre (jusqu'à 25% d'intérimaires les week-ends semble-t-il). Ont été également soulignées la crainte d'une contagion vers le SAU Saint-Antoine et une mobilisation syndicale importante, médicale et paramédicale. Enrique Casalino a souligné qu'il y avait toujours des marges de manoeuvres et que toutes les solutions n'avaient pas été mises en oeuvre pour améliorer le fonctionnement du SAU de Tenon notamment sur l'aval. Dominique Pateron et Etienne Hinglais ont souligné respectivement l'incapacité de Rotschild à assurer ne serait-ce qu'un peu d'aval pour le SAU de Tenon et la crainte, dans cette situation de crise, qu’on réoriente l’aval de Saint-antoine (déjà insuffisant) vers Tenon sans rogner les autres activités ce qui ne ferait que déplacer le problème. La DRH et la DSI du siège doivent se mobiliser pour aider au recrutement immédiat d'IDE sur le SAU de Tenon.

J'ai insisté sur le fait que des bruits alarmants touchant soit le personnel médical soit le personnel paramédical nous parviennent de très nombreux SAU (Beaujon, Jean Verdier, Mondor, Lariboisière) et que la situation de Tenon risque de faire des émules dans les semaines qui viennent. J'ai rappelé que l'engagement de l'APHP sur le plan urgence avait failli cette année du fait de l'incapacité de l'APHP a gérer les transformations de postes de praticiens attachés en praticiens contractuels ce qui allaient se traduire par l'incapacité de plusieurs SAU à recruter (voire fonctionner) et faciliter de nouveaux départs de l'APHP. J'ai souligné que nos équipes étaient consternées (certaines désespérées) de l'absence de réponse claire sur la poursuite du plan urgence APHP, et que l'absence de pilotage de la DPM depuis juillet n'était qu'un des éléments de cette absence de réponse.

Nous avons collectivement dit que, en l'absence de réponse adaptée de l'APHP, à la crise de Tenon comme aux crises inéluctables que nous sentons venir, nous nous réservons une totale liberté de parole vis à vis de la Direction comme de la CME et que nous envisageons dés maintenant la possibilité de communiquer vers la presse et de nous tourner vers l'ARS, malgré l'effet catastrophique sur les esprits de la sortie dans la presse du "plan ARS sur les urgences". Nous avons rappelé la lettre envoyée par la Collégiale à Jean-Yves Fagon et Benoît Leclerc en 2008 soulignant que nous étions d'accord pour envisager toutes les restructurations de structures d'urgences imaginables sous réserve que l'accueil des flux de patients soient maintenus, que le dimensionnement des locaux et des UHCD soient corrects, et que la mobilité interhospitalière des patients et l'aval des SAU soient garanties. En revanche nous ne sommes pas d'accord pour une politique de fermeture par pourrissement de la situation ou déstabilisation des équipes. Voilà, mon cher André, un résumé très personnel des évènements récents. Je suis persuadé que nous ne sommes qu'au tout début d'une crise majeure.

Bien amicalement.

Bruno Riou

Service d'Accueil des Urgences

CHU Pitié-Salpêtrière