jeudi 30 avril 2009

Journée de mobilisation conjointe dans les universités et les hôpitaux

Journée de mobilisation conjointe dans les universités et les hôpitaux, Le Monde, 28 avril 2009

Le monde universitaire, les médecins et autres personnels des hôpitaux sont appelés à une journée d'action, mardi 28 avril 2009, afin de protester contre les réformes gouvernementales dans l'enseignement supérieur et la santé.

Les enseignants-chercheurs, mobilisés depuis début février 2009 contre le décret sur leur statut et la réforme de la formation, organisent leur 11e journée de manifestation en treize semaines de conflit, à l'appel d'une intersyndicale FSU-CGT-Solidaires, Sauvons l'université, Sauvons la recherche et UNEF, ainsi que la Coordination nationale des universités.

Cette journée coïncide avec celle choisie par les personnels des hôpitaux parisiens, y compris des chefs de service et professeurs, peu habitués à manifester, opposés au projet de loi Bachelot sur l'hôpital.

Comme le souligne l'une des responsables du Snesup-FSU, Michelle Lauton, dans Les Echos du 28 avril 2009: "Nous sommes confrontés aux mêmes attaques contre le service public, et les CHU parisiens intégrés aux universités seront concernés par la réforme hospitalière."

A Paris, les médecins, qui doivent quitter à 11 heures la tour Montparnasse, seront rejoints au niveau du métro Port-Royal par les universitaires – partis, eux, de Jussieu. Tous se dirigeront vers le Sénat, où doit commencer le 11 mai l'examen du projet de loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST).

APPEL À LA GRÈVE DANS LES HÔPITAUX

Chez les hospitaliers, la manifestation se double d'un appel à la grève. Le Mouvement de défense de l'hôpital public, lancé par des médecins de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et soutenu par les syndicats hospitaliers, invite notamment à reporter les activités programmées et non urgentes. Des actions pourraient aussi avoir lieu en province. A Lille, des médecins ont décidé de "ne plus participer aux activités administratives" depuis lundi. Même initiative aux Hospices civils de Lyon, tandis que la communauté médicale de Caen envisage de former mardi une "chaîne humaine hospitalière autour du CHU".

Les personnels hospitaliers reprochent au projet HPST de "caler l'hôpital sur l'entreprise" en renforçant un directeur qui "pourra n'avoir aucune compétence médicale", et estiment qu'il "organise des suppressions massives et injustifiées d'emplois d'infirmiers et d'aides-soignants".

La ministre de la santé, Roselyne Bachelot, et le gouvernement assurent que le projet a été mal compris et cherchent désormais à rassurer. Le président du groupe UMP à l'Assemblée, qui a favorisé l'adoption du texte, a plaidé lundi pour une application fine en estimant qu'il faudrait insister sur la formation des directeurs d'hôpitaux afin qu'ils "intègrent la dimension médicale". De son côté, Roselyne Bachelot a estimé qu'elle avait l'appui de nombreuses personnalités du monde de l'hôpital. "Les médecins craignent de ne pas être écoutés, je veux les rassurer", a-t-elle déclaré.

Hôpital : l'alignement des tarifs publics sur le privé reporté à 2018

Hôpital : l'alignement des tarifs publics sur le privé reporté à 2018, Le Monde, 30 avril 2009

Dans un courrier adressé, mercredi 29 avril, à Claude Evin, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, a annoncé qu'elle reporte à 2018 l'objectif d'alignement des systèmes de financements des hôpitaux publics sur le privé. Il s'agit d'une nouvelle concession aux détracteurs de sa loi "hôpital, patients, santé, territoire" (HPST).

Cette "convergence tarifaire public-privé" était prévue initialement pour 2012. Elle inquiétait fortement l'hôpital public : sa suppression était devenue un des slogans de la manifestation pour la défense de l'hôpital, mardi 28 avril 2009.

La convergence tarifaire public-privé a été introduite dans la loi en 2005, par les parlementaires, parallèlement à l'instauration de la tarification à l'activité (T2A), le nouveau système de financement.

"UN SIGNE POLITIQUE FORT"

Depuis l'entrée en vigueur de la T2A, les hôpitaux publics comme les cliniques privées sont rémunérés en fonction du volume de leur activité, et sur la base de tarifs, fixés par l'Etat et payés par l'assurance-maladie.

L'objectif de convergence tarifaire implique que ce système de financement soit complètement identique entre public et privé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Pour l'hôpital public, converger avec le privé signifierait donc une baisse de ses tarifs et, partant, une perte substantielle de capacité de financement.

La FHF a aussitôt salué "une décision juste". "L'objectif de la convergence tarifaire était purement idéologique, relève Gérard Vincent, délégué général de la FHF. Le renvoyer à 2018, soit aux calendes grecques, constitue un signe politique fort, une manière de se défendre de l'accusation de casse de l'hôpital public. "

La Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), qui milite depuis plusieurs années pour la convergence, n'a pas caché pas sa déception : "Le gouvernement souhaiterait dire qu'il renonce à la convergence, il ne s'y prendrait pas autrement, analyse Jean-Loup Durousset, président de la FHP. Les hôpitaux publics ont une responsabilité économique, ils vont perdre près d'un milliard d'euros en 2009. La convergence avait une vertu : faire la transparence sur les différences de coût de prise en charge dans le public et le privé."

Cécile Prieur

mercredi 29 avril 2009

La loi Hôpital, patients, santé, territoires, "c'est un peu la réforme de trop"

Plusieurs milliers de médecins hospitaliers et de personnels soignants devaient manifester contre la loi "Hôpital, patients, santé, territoires", mardi 28 avril 2009 à Paris, sur un mot d'ordre de défense de l'hôpital public.

Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des politiques de santé, éclaire les raisons du malaise et du mécontentement hospitalier.

Comment analysez-vous la montée de la contestation à l'hôpital ?

Il faut replacer le mouvement de protestation suscité par la loi "Hôpital, patients, santé, territoires" (HPST) dans la dynamique des réformes précédentes qui ont créé un climat de tensions et de mécontentement général à l'hôpital. Du point de vue des acteurs hospitaliers de terrain, la loi HPST, c'est un peu la réforme de trop.

Depuis le milieu des années 1990, l'hôpital est en réforme permanente - création des agences régionales d'hospitalisation (ARH), introduction de la tarification à l'activité (T2A), création des pôles (réunion des services), gouvernance.

Ces réformes se succèdent les unes aux autres sans qu'on ait pris le temps de les évaluer ni même qu'elles produisent tous leurs effets. C'est un peu comme un Meccano dont les pièces ont été progressivement mises en place mais sans que le plan d'ensemble n'ait été dévoilé aux acteurs. Or tout se passe comme si la loi HPST vendait la mèche : c'est à l'occasion de cette réforme que les hospitaliers prennent conscience de la logique globale.

Jusqu'ici, les médecins semblaient pourtant admettre les réformes précédentes, en s'engageant notamment dans la gestion des pôles...

En effet. L'une des raisons du mécontentement des hospitaliers, c'est la non-reconnaissance des efforts qu'ils ont réalisés, souvent dans des contextes budgétaires tendus et de pénurie d'effectifs.

Avec l'affaiblissement du pouvoir médical dans le projet de nouvelle gouvernance, les hospitaliers craignent que les outils précédemment introduits (T2A, pôles), dans lesquels ils s'étaient malgré tout investis, soient désormais détournés par des exécutifs hospitaliers "tenus" par les autorités politiques.

Car la loi HPST achève de verticaliser le système de santé en instaurant des lignes hiérarchiques claires : la chaîne de pouvoir qui va du ministère de la santé jusqu'au directeur d'hôpital, en passant par le directeur des agences régionales de santé (ARS), est établie pour contourner les intérêts locaux et médicaux, qui sont perçus comme des freins aux restructurations.

Quelle est, selon vous, la logique des réformes hospitalières ?

Jusqu'à présent, les lignes hiérarchiques médicales et administratives étaient assez bien séparées, chacune respectant le territoire et le pouvoir de l'autre. Au besoin, face à la tutelle, elles passaient des alliances.

La réforme remet en cause ce Yalta implicite en tentant d'hybrider ces deux logiques en une gestion médico-économique. Dès lors, la rationalité économique s'immisce au coeur de l'activité soignante.

Or si en Angleterre, par exemple, la définition de priorités et la gestion de la rareté font l'objet d'un débat politique ouvert (comment on prend en charge les patients, lesquels prend-on en charge, etc.), en France, au contraire, les soignants sont sommés d'opérer quotidiennement ce rationnement que les politiques refusent d'endosser.

Cela revient, en somme, à renvoyer les choix tragiques aux professionnels de santé. Cela permet de les sérialiser, de les rendre invisibles, donc de les dépolitiser, mais au prix de l'alourdissement de la responsabilité, de la charge morale et mentale du travail des soignants.

Comment, au quotidien, se traduisent ces contraintes pour les hospitaliers ?

Par un profond malaise. Le renforcement de la contrainte budgétaire (car la T2A est calculée au plus juste) et des arbitrages gestionnaires provoquent chez eux un trouble déontologique important. Ils n'ont plus le sentiment de pouvoir exercer leur métier selon les règles de l'art. Cela induit de la souffrance au travail et une fragilisation des identités professionnelles.

Jusqu'ici, ils avaient le sentiment qu'ils pouvaient encore soigner les gens correctement, au prix d'un accroissement des cadences et de la dégradation de leurs conditions de travail. Désormais, on attaque l'os. Avec l'aggravation programmée des pénuries d'effectifs et les tensions permanentes sur les ressources, on touche au coeur de la relation thérapeutique et de la qualité perçue par les professionnels de leurs services.

Enfin, ce qui fait mal aux hospitaliers, c'est le déni de leur spécificité. La réforme et sa rhétorique de l'hôpital-entreprise dissolvent les missions de l'hôpital public dans un management indifférencié, comme si, au fond, travailler dans le public ou le privé ne faisait aucune différence.

Propos recueillis par Cécile Prieur

La mobilisation des hospitaliers pousse le gouvernement à modifier son projet

La mobilisation des hospitaliers pousse le gouvernement à modifier son projet, Le Monde, 29 avril 2009

Plus de 10 000 médecins, agents hospitaliers, infirmiers et aides-soignants ont défilé, mardi 28 avril 2009 à Paris, contre la réforme "Hôpital, patients, santé, territoires" (HPST) et pour la défense de l'hôpital public.

Environ 50 % des praticiens de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) étaient en grève pour s'opposer à la réforme de la gouvernance hospitalière. Roselyne Bachelot a fait valoir, à l'Assemblée nationale, que "le pouvoir médical est éclairé, renforcé, sanctuarisé" par son projet de loi.

Celui-ci devrait être amendé pour redonner plus de place aux médecins dans la direction des hôpitaux. A la veille de l'examen du projet de loi par la commission des affaires sociales du Sénat, son président (UMP), Nicolas About, a affirmé avoir trouvé "des terrains d'entente" avec le gouvernement. Les arbitrages de l'Elysée sont attendus. Dans le cortège parisien, les manifestants ont fortement exprimé leurs critiques.

Guy Moriette, professeur de néonatalogie, hôpital Port-Royal. "Pour moi, la loi HPST, c'est un peu la goutte d'eau. On a supporté pas mal de réorganisations à l'hôpital, la nouvelle gouvernance en 2004, l'organisation des services en pôles, mais là, ça suffit. Je suis à deux ans de la retraite, je n'ai jamais fait grève en trente-cinq ans de service public hospitalier. Je ne supporte plus la logique de ces réformes, qui ne se résume qu'à un objectif de rationnement. Cela fait des années que nos moyens sont limités. On nous contraint de plus en plus à la production de soins, et la dimension humaniste est oubliée. Tout se passe comme si, parce qu'on ne sait pas réformer l'hôpital, on aboutissait à le casser."

Antoine Dossier, interne, hôpital Saint-Louis. "Je travaille depuis sept ans à l'hôpital public, et j'ai souvent l'impression, au quotidien, d'une gestion déjà alignée sur le privé. Dans les services, la souffrance au travail est majeure. L'administration nous demande de faire le grand écart avec les valeurs de soins qu'on défend. Ma spécialité, la médecine interne, est considérée comme non rentable par la "tarification à l'activité". Le système incite à multiplier les actes pour être mieux financés, alors qu'il faudrait privilégier la prévention des maladies, en favorisant l'éducation thérapeutique. Auprès des malades chroniques, il est capital de prendre son temps pour éviter les complications. Et c'est cette médecine qu'on met progressivement au ban."

Lydie Gautheret, infirmière, hôpital Robert-Debré. "J'ai choisi d'être infirmière à l'AP-HP pour soigner tout le monde sans distinction. Et je n'ai pas envie de devoir un jour dire à un patient : "Votre maladie n'est pas rentable, vous ne serez pas soigné." La santé des individus compte plus que l'argent, et l'hôpital ne peut pas être considéré comme une entreprise qui doit faire du rendement. Je n'ai pas envie que mon travail soit soumis aux impératifs financiers d'un administratif qui aurait les coudées franches pour diriger seul un hôpital."

Arnaud Basdevant, professeur d'endocrinologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière. "Je suis très préoccupé par ce qui s'annonce après la loi HPST, à savoir la convergence tarifaire public-privé (l'alignement des systèmes de financement des hôpitaux publics avec le privé), qui est prévue pour 2012. Je crains que le pouvoir totalement donné aux directeurs ne soit au service de cet objectif de convergence, qui aboutira au démantèlement de l'hôpital public. Je suis impliqué dans la prise en charge de maladies rares, chroniques, complexes. Les patients que nous prenons en charge ne sont déjà pas rentables selon le système de tarification à l'activité ! La convergence tarifaire nous obligerait à les soigner encore plus à moindre coût."

Cécile Prieur

mardi 28 avril 2009

Les premières pistes sur l'avenir des CHU

Une gouvernance hospitalière "rénovée" intégrant une forte "dimension universitaire et médicale" : les propositions de la commission Marescaux sur l'avenir des centres hospitaliers universitaires (CHU), confortent les arguments des opposants à la loi "Hôpital, patients, santé, territoires" (HPST).

Installée en décembre 2008 par Nicolas Sarkozy, la commission, présidée par le professeur de chirurgie digestive de Strasbourg Jacques Marescaux, doit officiellement rendre son rapport le 11 mai 2009 au président de la République. Ses premières conclusions, que Le Monde s'est procurées, plaident pour une plus grande association des médecins dans la gouvernance, au-delà de l'architecture actuellement arrêtée par la loi Bachelot.

Cinquante ans après la création des CHU français par Michel Debré, en 1958, la commission Marescaux avait pour mission de rénover le fonctionnement de ces 31 hôpitaux d'excellence, en les recentrant sur leurs missions de soins les plus spécialisés, d'enseignement et de recherche.

Dans cette "gouvernance fortement rénovée", siégeraient, au sein du directoire créé par la loi HPST, trois vice-présidents de droit : le président de la commission médicale d'établissement (CME, élu par ses pairs), le doyen de l'université à laquelle le CHU est rattaché, et une personnalité qualifiée pour la recherche.

Jusqu'ici, la loi HPST n'admettait que la vice-présidence du président de CME au côté du directeur d'hôpital, président du directoire.

Par ailleurs, la commission Marescaux entend donner aux pôles qui regroupent et mutualiser les moyens des services médicaux un rôle plus "opérationnel".

Réintitulés "départements hospitalo-universitaires" (DHU), les pôles devraient pouvoir disposer d'une véritable "liberté de gestion" ainsi que d'un "retour financier" s'ils remplissent les termes du contrat d'objectifs fixé avec la direction. La question de la nomination de leurs responsables est donc cruciale.

Dans la rédaction actuelle de la loi HPST, elle est le fait du seul directeur d'hôpital : la commission Marescaux préconise de lui adjoindre l'avis des trois vice-présidents du directoire, en leur octroyant un pouvoir de proposition de nomination.

C'est justement cette question - accorder ou non un pouvoir de proposition aux présidents des CME - qui est au coeur des négociations entre le gouvernement, les médecins et l'Elysée.

Recevant les représentants de la communauté médicale, le 22 avril 2009, le président de la République s'était engagé à réécrire les points litigieux de la gouvernance. Mais aucun compromis n'a, pour l'heure, été trouvé, alors que la commission des affaires sociales du Sénat doit examiner la loi HPST le 29 avril 2009.

Cécile Prieur

lundi 27 avril 2009

Le Sénat transformera fortement le projet de loi

M. Raffarin : "Il faut respecter l'Etat de droit en matière sociale", le Monde, 25 avril 2009

La réforme de l'hôpital suscite de fortes inquiétudes dans le corps médical. Faut-il la maintenir ?

Le Sénat transformera fortement le projet de loi. L'hôpital, c'est très important dans la vie quotidienne des Français. Le texte voté par l'Assemblée nationale est trop confus. On mélange la gouvernance de l'hôpital, les questions de démographie médicale et de santé publique. Il faut un texte à part sur la santé publique et recentrer le projet de loi sur ses objectifs.

En l'état actuel, la gouvernance de l'hôpital ne me paraît pas satisfaisante. On ne peut considérer le directeur de l'hôpital comme un PDG, il faut rééquilibrer les responsabilités entre l'administration et la médecine au sein de la gouvernance.

La réforme de l'hôpital pourrait être modifiée

La réforme de l'hôpital pourrait être modifiée, le Figaro , 25 avril 2009

Alors qu'une nouvelle journée de mobilisation des professionnels de la santé est prévue mardi, Jean-Pierre Raffarin affirme que le projet de loi Bachelot, «trop confus», va être «fortement» transformé par le Sénat.

Le très critiqué projet de loi Bachelot pourrait «fortement» être transformé par le Sénat, qui examine ce texte la semaine prochaine. C'est ce qu'en tout cas affirme Jean-Pierre Raffarin dans une interview publiée samedi dans Le Monde.

L'ancien Premier ministre estime notamment que la gouvernance de l'hôpital prévue dans le projet de loi Bachelot n'est pas «satisfaisante» et qu'»on ne peut pas considérer le directeur de l'hôpital comme un PDG».

Des propos qui surviennent alors que les professionnels de la Santé ont prévu une nouvelle journée de mobilisation pour protester contre ce projet de loi mardi.

«En l'état actuel, la gouvernance de l'hôpital ne me paraît pas satisfaisante. On ne peut considérer le directeur de l'hôpital comme un PDG, il faut rééquilibrer les responsabilités entre l'administration et la médecine au sein de la gouvernance», plaide-t-il.

Si «la majorité parlementaire sait être solidaire», Jean-Pierre Raffarin prévient que «le Sénat n'a pas l'intention de considérer que la réforme qui sort du conseil des ministres est une réforme achevée». «Nous affirmerons nos convictions: pas de médecine sans médecins», assure-t-il. «Il n'est pas acceptable non plus que le CHU domine l'ensemble de la communauté hospitalière territoriale car c'est une rigidité pour les autres établissements».

Pour le sénateur de la Vienne, «le texte voté par l'Assemblée nationale est trop confus».

«On mélange la gouvernance de l'hôpital, les questions de démographie médicale et de santé publique», souligne-t-il, souhaitant «un texte à part sur la santé publique et recentrer le projet de loi sur ses objectifs».

vendredi 24 avril 2009

L'hôpital en quête d'une ordonnance

L'hôpital en quête d'une ordonnance, Le Point, 15 janvier 2009. par Nicolas Baverez

Les trois décès intervenus dans les hôpitaux de la région parisienne, après le sinistre sanitaire des surirradiés d'Epinal et à la veille du jugement sur l'hormone de croissance et ses 114 jeunes victimes, éclairent d'un jour cru la dégradation de la qualité des soins en France, en particulier au sein des hôpitaux publics.

Le nombre des décès découlant d'erreurs médicales est évalué à 10 000 en France. Autre indicateur clé, la mortalité avant 5 ans s'élève à 0,8 ‰, contre 0,5 aux Etats-Unis et en Allemagne et 0,6 au Royaume-Uni.

Sous ces données pointe la dégradation accélérée des performances du système de santé français, qui, placé en tête du classement mondial par l'OMS en 2000, figure désormais à la dixième place en Europe. L'excellence française en matière de santé relève désormais du mythe.

La chute des performances du système de santé ne doit rien au manque de moyens. La France consacre 11,5 % de son PIB à la santé, soit le troisième rang mondial après les Etats-Unis (16 % du PIB) et la Suisse (13 %).

L'hôpital représente 64 % des dépenses hors médicaments, contre 53 % en Allemagne, 30 % aux Etats-Unis, 48 % pour les pays de l'OCDE, alors que les soins ambulatoires restent limités à 28 % (contre 38 % dans l'OCDE).

Quant aux effectifs hospitaliers, ils sont identiques à ceux de l'Allemagne, qui compte 18 millions d'habitants supplémentaires avec une espérance de vie légèrement meilleure. Le système de santé français ne souffre donc nullement d'un poids ou d'un financement insuffisants des hôpitaux, mais de leur excès.

L'absence d'organisation et de continuité des soins se traduit par un recours démesuré à l'hôpital (251 hospitalisations pour 1 000 habitants, contre 161 dans l'OCDE), qui génère des surcoûts considérables (51 milliards d'euros en 2009, auxquels s'ajoute un déficit d'au moins 1 milliard en 2009 comme en 2008), mais aussi des risques sanitaires élevés (infections nosocomiales).

D'où un suréquipement hospitalier manifeste avec un établissement pour 22 000 habitants, contre un pour 44 000 en Europe, la diminution du nombre d'établissements depuis 1992 ayant été concentrée sur les cliniques (-19 %, contre-4 % pour les hôpitaux publics).

D'où le retard en matière d'hôpital de jour, de structures de rééducation, de prise en charge de la dépendance, de prévention surtout (1,8 % des dépenses, contre 3,1 % dans l'OCDE).

La régression du système de santé français s'explique par quatre problèmes fondamentaux.

Le premier touche à l'inégalité croissante dans l'accès et la qualité des soins, avec l'apparition de déserts sanitaires dans les zones rurales, en raison des contraintes de vie pour les professionnels de la santé, ou dans les banlieues, pour des raisons d'insécurité.

Le deuxième tient à l'éclatement des filières et des structures de soins, notamment le cloisonnement entre médecine de ville et médecine hospitalière, et à la stratification anarchique des niveaux administratifs (services, pôles, hôpital, centre hospitalo-universitaire, communauté hospitalière, agence régionale hospitalière, agence régionale de soins, ministère...).

Le troisième découle de la sous-productivité et de la dégradation des soins dans les hôpitaux pour de nombreuses raisons : l'éclatement des structures, étant entendu que taille insuffisante, sous-activité et dangerosité vont de pair ; la rivalité permanente entre les pouvoirs administratif, médical et infirmier ; la sous-utilisation chronique des équipements et des compétences du fait des 35 heures (les blocs opératoires les plus performants de l'Assistance publique à Paris ne fonctionnent que 7 heures 36 minutes par jour, et le plus souvent 4 jours sur 5 du fait d'une maintenance effectuée pendant la semaine, contre 18 heures 6 jours sur 7 dans les structures privées) ; l'accumulation des tâches administratives des équipes soignantes et la montée d'une culture de la procédure au détriment de la responsabilité médicale.

Le quatrième travers est à chercher dans les lacunes béantes en matière de mesure de la qualité des soins, alors qu'elle constitue le corollaire obligé de la tarification en fonction des pathologies.

Nul ne peut contester la priorité qui s'attache à l'amélioration du système de santé, dont la déliquescence doit être enrayée tant pour des raisons de cohésion sociale et d'efficacité économique que de soutenabilité des comptes publics : le déficit de la Sécurité sociale devrait en effet atteindre 15 à 20 milliards d'euros en 2009, dont la moitié pour l'assurance-maladie, avec une dette sociale culminant autour de 160 milliards d'euros, contre 41 milliards en 1996.

Le pivot en est l'hôpital, que les projets de réforme entendent réorganiser autour de trois axes : la transformation des directeurs d'hôpital en patrons à part entière dotés de pouvoirs élargis en matière de recrutement et de rémunération des personnels ; le regroupement des établissements en communautés hospitalières ; la création d'agences régionales chargées de coordonner l'offre de soins.

Le pari paraît très aléatoire, qui consiste pour l'Etat à planifier et à rationaliser l'offre de soins sur une base régionale. Le dirigisme sanitaire semble en effet une réponse paradoxale aux défis que doit relever le système de santé français. En matière de santé, l'Etat continue à s'occuper de tout et de tous, sauf des soins et des malades

mercredi 22 avril 2009

85 % des cliniques et hôpitaux ne pourront plus opérer certains cancers

85 % des cliniques et hôpitaux ne pourront plus opérer certains cancers , Le Point, 15 avril 2009



D'ici mai 2011, 786 hôpitaux et cliniques sur les 920 pratiquant la chirurgie des cancers devraient cesser toute ou partie de leur activité. Oubliés, ces établissements qui opéraient seulement quelques tumeurs malignes chaque année, avec pour conséquence cette redoutable "perte de chance" pour les patients.

En exclusivité, Le Point a choisi de publier les listes de ces structures de soins qui, à ce jour, n'atteignent pas les seuils minimums d'activité fixés par un décret ainsi que par un arrêté officiels.

Ces documents, que ni le ministère de la Santé ni l'Institut national du cancer (Inca) n'ont l'intention de rendre publics dans l'immédiat, ont été bâtis à partir des données statistiques d'activité du PMSI (1) pour les trois dernières années disponibles (2005, 2006 et 2007). Six types de cancer sont concernés par ces seuils d'activité impératifs : les cancers digestifs, du sein, du poumon et du thorax, urologiques, gynécologiques et ORL.

Lepoint.fr publie ci-dessous les listes des hôpitaux et cliniques concernés pour les quatre premiers cancers cités. Ainsi, 306 hôpitaux et cliniques devraient arrêter la chirurgie des cancers du sein (soit 37 % des établissements la pratiquant), 199 la chirurgie cancéreuse digestive (23 % des établissements), 188 les opérations des cancers du poumon et du thorax (63 % des établissements) et 195 hôpitaux et cliniques celles des tumeurs urologiques (31 % des établissements).

"Une véritable révolution"

"L'application de seuils minima d'activité est une véritable révolution", estime le professeur Dominique Maraninchi, président de l'Inca et maître d'oeuvre de ce grand nettoyage. Ce cancérologue de renom applique ainsi l'une des mesures phares du Plan cancer lancé en 2003 par le président Jacques Chirac. Objectif : permettre à tous les patients d'avoir accès à des soins de qualité, alors que l'on constate des pratiques extrêmement disparates d'un établissement à l'autre, source de graves inégalités pour la chance de guérison des malades.

L'Inca, les spécialistes et les associations de malades comme la Ligue nationale de lutte contre le cancer se basent sur une évidence : "On ne fait bien que ce que l'on fait souvent, une pratique chirurgicale suffisante et régulière est nécessaire à une équipe pour assurer une prise en charge efficace." C'est forts de ce précepte que des seuils minimums annuels d'activité en chirurgie des cancers par établissement ont été officiellement établis en 2007, après plusieurs années d'âpres négociations. Deux ans plus tard, malgré les réticences de certains lobbies, la machine est enfin en marche.

Une activité minimale de 20 ou 30 interventions par an

Concrètement, tous les établissements de soins (hôpitaux, centres hospitaliers universitaires (CHU), cliniques privées) remplissent actuellement un "dossier promoteur" à destination de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) dont ils dépendent, afin d'obtenir la précieuse "autorisation d'activité de soins de traitement du cancer". Les établissements doivent répondre à de nombreuses conditions en termes d'organisation, de personnel et d'équipement, mais ils doivent surtout réaliser, selon l'arrêté du 29 mars 2007, "une activité minimale annuelle de 30 interventions par an pour la chirurgie des cancers du sein, digestifs, urologiques et thoraciques, et de 20 interventions par an pour la chirurgie des cancers gynécologiques, ORL et maxillo-faciale". Une période intermédiaire est toutefois prévue par la loi. Sur les trois dernières années d'activité (2006, 2007, 2008), les établissements doivent atteindre 80 % au minimum des seuils d'activité, et bénéficient de 18 mois de mise en conformité pour atteindre les 100 %.

17.000 patients concernés

Le professeur Alain Grunfeld, qui vient de remettre au président de la République des propositions d'action pour la réalisation d'un nouveau Plan cancer, "souscrit totalement à cette politique de seuil minimum d'activité" et estime que c'est "un gain pour la qualité des soins qu'il faudra évaluer d'ici quelques années". "Près de 17.000 patients sont opérés en moyenne chaque année dans ces établissements, 57 % dans le privé, 43 % dans le public. Sans doute auraient-ils apprécié de connaître le niveau d'activité de l'établissement auquel ils se sont confiés, avant d'accepter de s'y faire opérer...

(1) PMSI : Programme de médicalisation des systèmes d'information, base de données regroupant sous forme informatique et anonyme l'ensemble des dossiers médicaux des hospitalisés, une année donnée.

Les 25 Professeurs répondent à la Ministre de la Santé

"Les 25 Professeurs caricaturistes et ignorants répondent à la Ministre de la Santé"
NOUVELOBS.COM | 21.04.2009 | 21:15

Les professeurs signataires de "l'appel des 25", qui dénoncent le projet de réforme de l'hôpital mené par Roselyne Bachelot, "s'étonnent" de la réponse de la ministre de la Santé à leur texte.

Nous avons lu avec étonnement la réponse à notre tribune de la ministre de la santé. Son souci de privilégier une communication politique efficace l’a conduite sans doute à prendre quelques libertés avec les faits.

- La ministre évoque le travail de concertation qui a précédé l’élaboration de la loi. Ignore-t-elle qu’avant le débat parlementaire, nous avons rencontré ses conseillers ? Nous leur avons proposé des amendements législatifs avec lesquels ils ont pour l’essentiel affirmé leur accord. Résultat ? Aucun ! Ignore-t-elle vraiment la différence entre un travail de commission et un débat national débouchant sur des Etats Généraux permettant de définir une véritable politique de société ? Les hôpitaux subissent en moyenne une réforme tous les deux ans, réforme à chaque fois inachevée et non évaluée avant d’être remplacée par une nouvelle réforme. Quelle urgence y avait-t-il à légiférer ? Quelle urgence y avait-il à écarter de cette loi hospitalière les missions d’enseignement et de recherche médicale qui sont indispensables au progrès ?

- Loin des "suppressions massives de postes" que nous dénonçons la ministre parle d’embauches "massives". Ignore-t-elle la suppression, exigée par son ministère, de plus de 1.000 emplois à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), les 650 suppressions à Nancy, les 400 à Nantes, les 550 au Havre, les plus de 1.000 programmées à Marseille, les plus de 20.000 en France ? Pourquoi cache-t-elle cette réalité résultant non pas d’une réorganisation réfléchie du service public hospitalier, non pas d’un soucis d’efficience pour éviter le gaspillage des deniers publics mais d’une gestion purement comptable ?

- La ministre prétend qu’elle va augmenter cette année le budget des hôpitaux de 3,1%. Ignore-t-elle vraiment que, compte tenu de l’inflation et du financement des mesures prises par le gouvernement lui-même, le simple maintien de l’activité en l’état nécessiterait selon la Fédération Hospitalière de France (FHF), peu suspecte d’opposition au projet de loi, une augmentation de ce budget de 4,1% ? L’étranglement financier annoncé des hôpitaux publics met en péril leurs capacités d’investissement et de modernisation. Il menace l’avenir.

- Le sous-financement de l’hôpital est aggravé par une tarification en grande partie inappropriée à son activité. La ministre rappelle sa décision de prendre en compte "à l’avenir" (sic) la précarité sociale des malades et la sévérité des pathologies. Quel aveu ! Depuis 5 ans ni la précarité, ni la gravité n'étaient donc financées. Beaucoup d’autres activités des hôpitaux publics, comme celles du recours pour les cas difficiles, de l’éducation thérapeutique, de la permanence des soins, de la continuité territoriale, sont à ce jour non ou incomplètement prises en compte. Certes, il existe un financement des missions de service public à hauteur de 12% du budget hospitalier. La ministre peut-elle nous indiquer d’où vient ce chiffre obscur de 12% alors que la F.H.F. estime qu’il devrait être de 50% ? Le déficit des hôpitaux publics est donc un déficit programmé.

- Pourquoi toutes ces omissions ? On craint de deviner la réponse quand la ministre affirme : "à prestation égale la différence entre le public et le privé est estimée à 30% en faveur du public". Pourquoi ne dit-elle pas que les cliniques privées commerciales concentrent 80% de leur activité sur les pathologies rentables essentiellement chirurgicales, pas sur la pédiatrie, pas sur les maladies coûteuses des sujets âgés, pas sur la réanimation lourde, pas sur la chirurgie complexe et les urgences graves qui bouleversent les programmes opératoires…? Pourquoi ne dit-elle pas que lorsqu’on inclut les honoraires médicaux (exclus aujourd’hui du calcul des tarifs des cliniques), la part des contrats d’assurance des médecins libéraux pris en charge par la sécurité sociale, le coût des examens délocalisés non payés par la clinique mais facturés à la Sécurité Sociale, la différence des coûts entre le privé et le public "à prestation égale" n’est plus de 30% mais de 18% d’après la F.H.F. ? L’ignore-t-elle vraiment ? Et encore ne parle-t-on pas du coût engendré par l’obligation de repos des médecins du service public après une garde (repos dit de sécurité), obligation qui ne s’applique pas au secteur privé.

-De même pourquoi la ministre cache-t-elle la finalité de sa réforme, la "convergence public-privé" prévue pour 2012 ? Cette convergence suppose d’un côté un transfert de missions de service public à des cliniques privées commerciales et d’un autre côté la transformation des hôpitaux en établissements à gestion commerciale. Nous sommes favorables à la complémentarité contractuelle entre le public et le privé mais nous sommes opposés à la convergence concurrentielle qui détruira le service public hospitalier.

-Ainsi, la loi veut imposer à l’hôpital une gouvernance calquée sur le code du commerce jusque dans sa terminologie : un directeur (qui rappelons le n’est pas un médecin) devenu président du directoire nommera et révoquera les médecins transformés en ingénieurs de production. La reconnaissance par la ministre de "la haute compétence des directeurs, ces professionnels de santé publique formés par l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique" serait plus crédible si sa loi ne prévoyait pas dans le même temps le recrutement contractuel et sur simple analyse de leur CV de directeurs non formés dans cette école. On est loin de la Sante Publique ! Ces nouveaux directeurs omnipotents seront eux-mêmes embauchés et révocables sans appel et à tout moment par les directeurs de l’Agence Régionale de Santé (A.R.S.) nommés en conseil des ministres.

- "La mauvaise gestion est le pire ennemi d’une médecine de qualité". En effet, des progrès sont indispensables dans ce domaine en particulier grâce une nouvelle organisation regionale de l’offre de soins. Encore faut-il déterminer la finalité de cette gestion. Une gestion mercantile de la santé est le pire ennemi de l’égalité de l’accès aux soins comme l’illustre le système actuel de santé américain. Le président Obama s’est engagé à le changer en s’inspirant… du système français… que le projet de loi de Madame Bachelot met en péril.
- Nous ne sommes pas des "mandarins" accrochés à notre pouvoir comme "un naufragé s’accroche à la corde du vent". Notre seul pouvoir est le devoir de compétence et de partage, vis-à-vis des patients, des personnels soignants et des futurs médecins. Le vrai pouvoir médical est aussi d’alerter lorsqu’il y a danger.

La ministre a refusé d’entendre nos réserves répétées depuis plusieurs mois. Aussi appelons-nous à renforcer le mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) initié par les médecins de l’AP-HP avec l’appui de l’ensemble des syndicats, bien au-delà de tout clivage politique.

Au chevet des oubliés de la "Sécu"

Au chevet des oubliés de la "Sécu" , Le Monde, 22 avril 2009

Elles l'ont sobrement appelé "Histoires de consultations". C'est un document court, à peine une feuille et demie, mais qui en dit long sur les difficultés d'accès aux soins que rencontrent un nombre croissant de patients en France. Malades chroniques qui renoncent à des examens complémentaires, patients qui ne peuvent payer leurs consultations, hommes et femmes pour qui chaque euro compte... Elles ont consigné ces récits, extraits parmi d'autres, comme autant de témoignages de la précarisation du système de santé. "C'est le quotidien de ce quartier populaire, de plus en plus de patients rencontrent des difficultés réelles pour se soigner", expliquent les docteurs Marie Chevillard et Mady Denantes, qui exercent la médecine générale dans les hauteurs de Belleville, à Paris (20e arrondissement).

Vingt ans les séparent mais leur engagement les unit dans une véritable solidarité. Le docteur Denantes, qui milite à Médecins du monde et au Collectif des médecins généralistes pour l'accès aux soins (Comégas), a transmis sa passion à Marie Chevillard, qui l'a rejointe, diplôme en poche. "J'ai toujours voulu faire une médecine sociale, soigner les plus démunis, explique cette dernière. Mais c'est dans la pratique que je me suis rendu compte que les inégalités d'accès aux soins constituent une vraie bataille."

Ce combat, les deux femmes le mènent chaque jour, en jonglant avec les possibilités et les failles de la couverture sociale. Bénéficiaires de la couverture-maladie universelle complémentaire (CMUc), étrangers sans papiers relevant de l'Aide médicale d'Etat (AME) ou patients n'ayant pas les moyens de s'offrir une couverture complémentaire, chacun ici est le bienvenu. Environ un tiers des patients des docteurs Chevillard et Denantes ont des problèmes d'accès aux soins.

Bien que ce ne soit plus officiellement permis pour les généralistes, les deux médecins appliquent souvent le tiers payant à ces patients, pour qu'ils n'aient pas à avancer les 14,40 euros que rembourse l'assurance-maladie sur une consultation de 22 euros (moins 1 euro de forfait). Mais certains malades ne peuvent même pas payer les 6,60 euros restants : "Nous faisons aussi des consultations gratuites", convient le docteur Denantes. Et la praticienne de se désoler : "On perd notre système solidaire, on casse peu à peu cet extraordinaire outil qu'est la Sécu." Voici les histoires de ces patients.

M. A., 39 ans, est suivi pour un cancer du poumon opéré en 2006. Il a une paupière tombante postopératoire qu'il faudrait opérer. Il a la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc), il gagne donc moins de 621 euros par mois. Le chirurgien ophtalmo qui le voit ne "prend pas la CMU". M. A. paye donc 80 euros la consultation. Il renonce à la prise en charge de ce problème pourtant bien invalidant.

M. S., 47 ans, hypertendu, travaille à mi-temps, il vit dans un train, il est affilié à la Sécurité sociale, mais n'a pas de mutuelle. Il est suivi depuis longtemps dans notre cabinet, il a quelques dettes de ticket modérateur (reste à charge des patients après remboursement), qu'il paye régulièrement. Il a loupé son rendez-vous de samedi dernier parce qu'il n'avait pas 6,60 euros, le prix du ticket modérateur pour une consultation de médecine générale en secteur 1. Donc, depuis samedi, il n'a plus de traitement antihypertenseur, sa tension est très élevée ce jour. Je ne suis pas sûre qu'il a de quoi acheter les médicaments ce soir !


Mlle T. a une perforation du tympan, elle travaille, au smic. Je l'ai adressée à un ORL, qui l'a envoyée à un confrère qui a reconstruit son tympan en juillet 2007. Elle a payé un dépassement d'honoraires de 700 euros pour le chirurgien et de 300 euros pour l'anesthésiste. Depuis, elle a dû revoir deux fois le chirurgien, car son oreille coule et est douloureuse. Chaque consultation lui a coûté 80 euros. Elle vient me voir car elle a très mal et ne peut plus retourner voir le chirurgien : elle n'a plus d'argent...


M. H., 49 ans, a longtemps vécu dans la rue : il s'en est sorti, travaille et a un logement. Il a un antécédent de tuberculose. Il vient consulter car il tousse depuis des semaines et il maigrit. Je lui demande de faire une radio pulmonaire. Je le croise quelques semaines plus tard dans la rue. Il tousse toujours, mais il n'a pas fait sa radio : il n'a pas pour le moment l'argent pour la radio (environ 30 euros) ni pour le ticket modérateur de la radio (10 euros), il la fera plus tard.

M. A., 66 ans, diabétique, bien équilibré sous régime et traitement médicamenteux. Son seuil de revenu est juste au-dessus de la CMUc. Après de longues explications, il est enfin allé faire le bilan ophtalmologique annuel et j'ai reçu le compte rendu de mon confrère : absence de complications diabétiques. Quand je le revois, il est furieux : il n'a pas été remboursé de cette consultation facturée en tarif opposable (remboursé par la Sécurité sociale) car on a retiré les forfaits (1 euro) des années précédentes plus les franchises sur les boîtes de médicaments. "Ce médecin n'est pas remboursé, me dit-il, je ne veux pas le revoir." J'essaie de lui expliquer le principe des forfaits et des franchises sans aucun succès ! J'ai un an pour le convaincre ou pour trouver un autre ophtalmo secteur 1.

M. G., 66 ans, vit avec le minimum vieillesse (633,12 euros fin 2008), donc il n'a pas droit à la CMUc. Je le connais depuis longtemps, une assistante sociale me téléphone pour me demander si je peux le recevoir : il ne peut pas payer les 22 euros de la consultation et a besoin en urgence d'un certificat médical pour une demande de foyer résidence. En consultation, je le trouve amaigri, fatigué : j'aimerais qu'il fasse un bilan sanguin en urgence : il ne peut pas payer le ticket modérateur de ce bilan.

Mme T., 64 ans, diabétique de découverte récente, suivie par mon interne en stage. Nous avions eu du mal à obtenir les premiers examens biologiques nécessaires au diagnostic de diabète, mais, à peine la prise en charge en affection de longue durée (ALD, remboursée à 100 %) a-t-elle été obtenue que Mme T. suit parfaitement son traitement. Elle a été mise sous insuline. Elle surveille bien sa glycémie, l'équilibre diabétique est satisfaisant, les rendez-vous organisés et honorés. Devant une hypothyroïdie, une imagerie et un bilan biologique avec dosage des anticorps sont demandés, hors protocole ALD. Mme T. ne fait pas les examens, sans nous donner d'explications ! Une consultation attentive sur ce problème, après plusieurs mois de prise en charge dans la confiance et l'observance, nous a permis de comprendre : Mme T. n'a pas de mutuelle, son budget est serré, elle ne peut financer le ticket modérateur des examens demandés.

M. C., 55 ans, est bénéficiaire de la CMUc depuis peu de temps. Il me raconte avec beaucoup d'émotion comment, devant une salle d'attente pleine de monde, il a été renvoyé d'un cabinet de radiologie lorsqu'il a tendu au secrétariat son attestation CMUc. Je lui propose de signaler ce dysfonctionnement à l'ordre des médecins et à l'assurance-maladie. Il refuse immédiatement en me disant qu'il craint que cela n'aboutisse à un retrait de sa CMUc. Aucun argument ne vient à bout de sa crainte, il regrette même de m'avoir raconté l'épisode.

Cécile Prieur

Les obstacles à l'accès aux soins se multiplient

Les obstacles à l'accès aux soins se multiplient , le Monde, 22 avril 2009

Dans un article publié en janvier 2009 par la revue française de médecine générale Exercer, les docteurs Mady Denantes, Marie Chevillard, Jean-François Renard, enseignants à la faculté de médecine de Paris-VI ainsi que Patrick Flores, de l'université Paris-V, décortiquent les "inégalités sociales de santé et d'accès aux soins".

"Difficultés d'accès aux assurances complémentaires, forfaits et franchises, dépassements d'honoraires, tracasseries avec le tiers payant sont des obstacles majeurs à l'accès aux soins pour les plus démunis", relèvent les auteurs.

De fait, les obstacles financiers à l'accès aux soins se multiplient. L'absence de mutuelle peut ainsi devenir un véritable frein. Selon l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), 7 % des Français déclarent ne pas avoir de couverture complémentaire, mais ce taux est de 15 % pour les ménages gagnant moins de 840 euros par mois, de 13 % pour les ménages d'ouvriers et de 18 % pour les chômeurs.

Surtout, le taux d'effort des ménages pour s'offrir une couverture complémentaire varie de 10 % pour les ménages les plus pauvres à 3 % pour les plus riches, sachant que ces derniers bénéficient de contrats offrant des garanties bien supérieures aux premiers.

L'autre source d'inégalités réside "dans la forte augmentation, depuis dix ans", de la pratique des dépassements d'honoraires par les médecins.

Ces dépassements (2 milliards d'euros sur 19 milliards d'honoraires totaux), pèsent aux deux tiers sur les ménages. Il faut y ajouter la multiplication des forfaits et franchises, censés responsabiliser les patients, et qui ont fait baisser la part remboursée par l'assurance-maladie sur les soins : forfait hospitalier journalier de 16 euros et de 18 euros sur les actes supérieurs à 91 euros, forfait de 1 euro sur chaque consultation et acte de biologie, franchises de 50 centimes par boîte de médicaments et actes paramédicaux, et de 2 euros sur les transports en ambulance.

Pour les auteurs de l'étude, l'ensemble de ces restrictions "alourdit considérablement le reste à charge des plus pauvres et risque de provoquer des renoncements aux soins".

Le dernier baromètre AG2R-La Mondiale confirme les changements de comportement des assurés : près d'une personne sur cinq reconnaît avoir modifié sa consommation de soins depuis la mise en place des franchises médicales, en 2008 : la part de ces personnes est de 31 % parmi les bas revenus, alors qu'elle n'est que de 9 % parmi les hauts revenus.

Cécile Prieur

Le syndrome des universités gagne l'hôpital

Le syndrome des universités gagne l'hôpital, Le Monde , 22 avril 2009

Désamorcer le conflit hospitalier avant qu'il ne prenne trop d'ampleur : face à la colère croissante des médecins et du personnel soignant contre le projet de loi Bachelot et la menace d'une journée de grève et de manifestation, à Paris, le 28 avril 2009, l'Elysée cherche à rassurer la communauté médicale.

Le président de la République, Nicolas Sarkozy, devrait rencontrer mercredi 22 avril 2009, lors d'une réunion informelle, des représentants des médecins qui s'opposent à la réforme de la gouvernance hospitalière inscrite dans la loi "Hôpital, patients, santé et territoires".

Le gouvernement pourrait ainsi accepter d'amender le projet de loi, qui sera examiné par le Sénat à partir du 11 mai, en permettant que les médecins soient mieux associés aux décisions de nominations les concernant.

Depuis plus d'un mois, les médecins hospitaliers contestent les dispositions de la loi Bachelot en l'accusant de confier aux directeurs d'hôpitaux (non médecins) tous les pouvoirs de nomination et de gestion.

Réunis en assemblées générales, les personnels soignants de tous les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont voté des motions appelant à la grève, avant d'être rejoints par les principaux syndicats de médecins et d'agents hospitaliers.

Jeudi 16 avril 2009, 25 patrons de l'AP-HP lançaient un appel dans Le Nouvel Observateur dénonçant une "loi qui cale l'hôpital sur l'entreprise". Le lendemain, la ministre de la santé répliquait en demandant que "les médecins signataires lisent la loi au lieu de la caricaturer", en admettant que "le texte peut encore évoluer".

COMPROMIS DIFFICILE

Depuis, chacun cherche à calmer le jeu. Vendredi, une réunion s'est tenue, sous l'égide de la Fédération hospitalière de France (FHF), entre les représentants des directeurs d'hôpitaux et ceux des présidents de Commissions médicales d'établissement (CME) afin de trouver un compromis.

Alors que, dans la version actuelle du texte, les directeurs devront nommer seuls les médecins chefs de pôle, ainsi que les membres médicaux du futur directoire, ils pourraient le faire, désormais, sur proposition des présidents de CME, qui sont élus par leurs pairs.

Le compromis est difficile, car les directeurs veulent garder le dernier mot sur les nominations tandis que les médecins souhaitent un droit de regard plus important sur l'élaboration du projet médical, notamment.

Dans un courrier adressé à l'Elysée mardi, les représentants des directeurs d'hôpitaux ont demandé au président de la République de ne pas "vider de tout sens" la réforme de l'hôpital, face au mécontentement exprimé par la communauté médicale.

"Il s'agit de trouver une rédaction équilibrée qui valorise l'autorité morale des médecins tout en permettant au directeur de mener à bien son projet d'établissement", fait-on valoir au ministère de la santé.

Ces modifications pourraient être reprises par voie d'amendements lors de l'examen du texte par la commission des affaires sociales du Sénat, le 29 avril 2009.

Il n'est toutefois pas certain que ces concessions suffisent à calmer la grogne. Car d'autres sujets cristallisent désormais le mécontentement.

Dans un contexte de pénurie budgétaire pour les hôpitaux et de multiplication des plans de suppressions de postes, le mouvement fédère largement sur une revendication de sauvegarde de l'emploi.

Par ailleurs, les contestataires dénoncent la convergence des systèmes de financement des hôpitaux publics avec les cliniques privées, prévue pour 2012.

"Cette loi transcende les clivages traditionnels de l'hôpital, relève Bernard Granger, psychiatre et initiateur du Mouvement de défense de l'hôpital public. Le fait que des médecins fassent grève côte à côte avec des personnels soignants est historique, on n'a jamais vu ça."

"RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES"

"Le gouvernement n'a pas vraiment pris la mesure de ce qu'il y avait de profond dans nos revendications, explique pour sa part le neurologue Olivier Lyon-Caen, signataire de l'Appel des 25. Il ne perçoit pas la situation de souffrance des personnels soignants et l'incompréhension que suscite sa politique de restrictions budgétaires."

La suite du mouvement dépendra en partie de l'ampleur de la mobilisation, le 28 avril 2009.

"On est dans un moment charnière, estime François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière, qui soutient l'appel à la grève. Il y a deux écueils possibles : qu'on verse dans une vision par trop entrepreneuriale de l'hôpital, qui découragerait les médecins de participer à la gestion médico-économique ; ou qu'on aboutisse à un rejet global du texte, qui signerait la victoire de tous les corporatismes."

Cécile Prieur

Santé : le gouvernement renonce à limiter les dépassements d'honoraires

De l'aveu même du sénateur Alain Milon, rapporteur (UMP) du projet de loi "Hôpital, patients, santé, territoire", il s'agissait d'un "point dur" de la contestation à la réforme Bachelot.

Plus discrètement que les médecins hospitaliers, mais non moins efficacement, les médecins libéraux sont partis en guerre contre la remise en cause du secteur 2, introduite lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.

En cause: la pratique des dépassements d'honoraires, que les députés ont voulu limiter dans les cliniques privées dès lors que ces établissements s'engagent dans des missions de service public.

Devant la menace d'une grève dure agitée par les médecins libéraux, et notamment les internes, le ministère de la santé a joué la prudence. Les dispositions contestées ne seront finalement pas reprises lors de l'examen du texte par le Sénat, le 11 mai 2009.

Les dépassements d'honoraires – soit la possibilité accordée aux médecins de secteur 2 (honoraires libres) de pratiquer des tarifs de consultations au-delà du remboursement de l'assurance-maladie – posent un problème croissant d'accès aux soins en France.

Pour y remédier, les pouvoirs publics ont envisagé de créer un secteur optionnel, permettant des dépassements limités, mais les discussions entre l'assurance-maladie et les partenaires sociaux sont au point mort sur ce sujet.

"SPOLIATION"

Lors de l'examen du projet Bachelot à l'Assemblée, les députés étaient à deux doigts de supprimer le secteur 2. Finalement, deux amendements ont été adoptés : l'un de Jean-Luc Préel (Nouveau Centre, Vendée), l'autre d'Yves Bur (UMP, Bas-Rhin).

Ils disposent que, si les futures Agence régionales de santé (ARS) constatent des difficultés d'accès aux soins sur leur territoire, elles pourront imposer aux cliniques privées, en situation de monopole, une "proportion minimale d'actes facturés sans dépassements d'honoraires".

Les médecins n'ont pas tardé à réagir. Menaçant d'un "conflit très dur", l'Union des chirurgiens de France a annoncé qu'elle était prête à suspendre toutes les activités chirurgicales à partir du 1er juin 2009 si le Sénat ne retirait pas ces amendements.

La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a dénoncé "la disparition du secteur 2, la spoliation totale des médecins et la fin de l'exercice libéral en clinique".

Mais le plus inquiétant, pour le gouvernement, est venu des jeunes médecins, traditionnels fers de lance des mouvements hospitaliers: l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux (ISNIH) a annoncé qu'il rejoindrait la grève des chirurgiens s'il n'obtenait pas le retrait des deux amendements.

Le gouvernement a immédiatement perçu la menace. Lundi 20 avril 2009, le directeur de cabinet de Roselyne Bachelot a rencontré les représentants de l'ISNIH pour leur assurer que la ministre de la santé accepte le retrait des amendements contestés.

Mme Bachelot "considère que le problème de l'accès financier aux soins doit être résolu dans une vie conventionnelle rénovée", s'est immédiatement félicité l'ISNIH.

Autrement dit, le gouvernement parie sur une reprise des discussions sur le secteur optionnel. A l'heure où le monde hospitalier est en ébullition, il était urgent de donner des gages aux internes.

Cécile Prieur

mercredi 15 avril 2009

Les CHU, en attendant Marescaux

Les CHU, en attendant Marescaux , Eric Favereau, 13 février 2009

Bernard Debré, professeur d'urologie à l'hôpital Cochin mais aussi député UMP, est un homme distrait. Hier matin, il ne s'est pas réveillé. Bizarrement. Ou alors il a oublié de venir.

En tout cas, il est arrivé avec près de deux heures de retard à l'Assemblée nationale alors qu'il était censé défendre des amendements sur la loi «Hopital, patient, santé, territoire» qu'il avait lui même déposés. Tous ayant trait à l'avenir des Centres hospitaliers universitaires, les fameux CHU, fer de lance de l'hospitalisation et de la recherche française.

Mais voilà par une aberration de calendrier, une commission, -présidée par le professeur Marescaux-, a été mise en place récemment par le président de la République pour faire des propositions sur l'avenir des CHU. Bref, une commission qui doublonne avec la loi Bachelot.

Qu'à cela ne tienne, on va se débrouiller. La commission Marescaux est censée terminer son travail fin mars: si elle propose des mesures légistatives, l'idée du gouvernement est alors de les intégrer par le biais d'amendements, plus tard, lors du débat de la loi lorsqu'elle arrivera en discussion au Sénat.

«C'est ahurissant», tonne le député socialiste Jean Marie Leguen. «La réforme des CHU va se faire par amendements, en court-circuitant l'Assemblée nationale». Vu la cocasserie de la situation, Bernard Debré, qui est aussi membre de la commission Marescaux, a donc préféré déserter la défense de ses propres amendements. Et n'être pas là. En fin de matinée, le professeur Debré est arrivé dans l'hémicycle, l'air de rien. Il a été alors vertement secoué par Jean Marie Leguen. «Vous en êtes à vous excuser d'avoir déposé des amendements. Est-ce que cela veut donc dire que vous trouvez normal que la réforme des CHU se fasse à la va-vite? C'est choquant, et au final tout cela sera anticonstitutionnel...»

Roselyne Bachelot s'est voulue alors rassurante: «Oui, il y a des calendriers différents, mais ce n'est pas très grave. Si la commission Marsescaux propose des aménagements législatifs, alors nous les intègrerons, et nous en débattrons en commisssion puis au Sénat. S'il faut une loi, alors on la fera. Mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas prévoir ces recommandations».

Bernard Debré, enfin, prend la parole. D'abord, il se montre surpris: «Mais je croyais que j'avais retiré mes amendements». Puis, un peu plus sérieux: «Les CHU auraient du faire partie de la loi, mais c'est ainsi, on verra comment faire». Les députés devront donc être ... patients.

Eric Favereau

Contre la mort de l'hôpital public: l'appel des 25

25 professeurs signent un appel contre le projet Bachelot pour l'hôpital public , nouvelobs.com, 15 avril 2009

En 1958, la grande réforme menée par le Professeur Robert Debré allait permettre à la médecine française de devenir en 30 ans "la meilleure du monde".

Cinquante ans plus tard, le Parlement va-t-il voter la loi "Bachelot" qui porte en elle la disparition de cette médecine hospitalière au profit d’une médecine mercantile ? Le maître-mot n’est plus la santé mais la rentabilité. La préoccupation centrale n’est plus le malade mais le compte d’exploitation de l’hôpital. Et les premières victimes en seront les patients et les soignants.

Cette loi cale l’hôpital sur l’entreprise. Elle donne tous les pouvoirs au Directeur de l’Hôpital, nommé et révoqué par le Directeur de l’Agence Régionale de Santé, lui-même nommé et révoqué par le Conseil des Ministres. Ce directeur pourra n’avoir aucune compétence médicale ou en santé.C’est pourtant lui qui arrêtera le projet médical de l’hôpital. Lui aussi qui nommera et révoquera les médecins responsable des structures de soins (pôles, départements, services…). Sur quels critères ?

La tarification des actes est semblable dans les secteurs privé et public – comme si les pathologies et la continuité des soins y étaient comparables ! La pensée marchande dont se prévaut cette loi réduit le qualitatif au quantitatif, le malade au tarif de sa maladie.

Dans le même temps on organise des suppressions massives et injustifiées d’emplois d’infirmières et d’aides-soignants.

Bien sûr, l’hôpital public doit être réformé. Mais certainement pas de cette manière.

Il faut repenser l’organisation hospitalière pour répartir de manière harmonieuse sur le territoire, sans redondance, les stuctures de soins et les spécialités en prenant en compte aussi leur niveau de technicité et l’accueil des urgences ; organiser la continuité des prises en charge au fur et à mesure de l’évolution du type de soins que demandent les malades.

Il faut réfléchir aux nouveaux métiers de la médecine ; prendre en compte la nécessaire pluridisciplinarité ; reconnaître et valoriser les actes des infirmières et des personnels paramédicaux (psychologues, diététiciennes, orthophonistes, etc.) ; promouvoir la prévention, le dépistage, l’éducation thérapeutique.

Il faut impliquer toutes les unités de soins hospitalières dans des activités de recherche structurées et adosser les orientations cliniques à un projet médical qui ne soit pas fondé sur la rentabilité mais d’abord sur les besoins de la population, l’évolution prévisible des grandes questions de santé publique, l’avancée des connaissances et des progrès technologiques.

Il faut un financement, propre à l’hôpital, qui tienne compte de l’innovation, de la lourdeur des pathologies, de la précarité, des handicaps de la vie.

A cet effort-là, source de progrès et de solidarité, tous les médecins et personnels hospitaliers sont prêts à souscrire. Mais pas à cette loi destructrice et injuste.

Soyons clairs. Si cette loi n’est pas amendée, elle s’appliquera sans nous, médecins et chirurgiens de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. Demain, côte à côte, et pour la première fois, infirmières, agents hospitaliers et administratifs, médecins seront dans la rue.

Preuve que les mentalités ont changé, que l’union est faite pour que soit supprimé le volet hospitalier de la loi "Bachelot" et pour que s’ouvre enfin un débat à la hauteur de l’enjeu : il est encore temps et il est urgent d’organiser les Etats Généraux de l’hôpital public.

Les 25 signataires

Pr. Basdevant, endocrinologue, Pitié Salpetrière
Pr. Bourgeois, rhumatologue, Pitié Salpetrière
Pr. Bousser, neurologue, Lariboisière
Pr. Brochard, anesthésiste réanimateur, Henri Mondor
Pr. Dubourg, cardiologue, Ambroise Paré
Pr. Fischer, pédiatre, Necker Enfants Malades
Pr. Franco, chirurgien digestif, Antoine Béclère
Pr. Frydman, gynécologue obstétricien, Antoine Béclère
Pr. Gaudric ophtalmologue, Lariboisière
Pr. Gluckman, hématologue, Saint Louis
Pr. Godeau, médecin interniste, Henri Mondor
Pr. Grimaldi, diabétologue, Pitié Salpetrière
Pr. Guillevin, médecin interniste, Cochin
Pr. Kieffer, chirurgien vasculaire, Pitié Salpetrière
Pr. Kuttenn, gynécologue médicale, Pitié Salpetrière
Pr. Lyon-Caen, neurologue, Pitié Salpetrière
Pr. Mariette, rhumatologue, Bicêtre
Pr. Menasche, chirurgien cardiaque, Georges Pompidou
Pr. Musset, radiologue, Antoine Béclère
Pr. Niaudet, pédiatre, Necker Enfants Malades
Pr. Sahel, ophtalmologue, Hôpital des Quinze-Vingts
Pr. Sedel, chirurgien orthopédiste, Lariboisière
Pr. Valla, hépatologue, Beaujon
Pr. Varet, hématologue, Necker
Pr. Vernant, hématologue, Pitié Salpetrière

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Réforme de l'hôpital : médecins et ministre débattent par tribunes interposées

Réforme de l'hôpital : médecins et ministre débattent par tribunes interposées , le Monde, 15 avril 2009

Les chefs de service renommés de plusieurs hôpitaux parisiens ont signé un "appel des vingt-cinq", publié jeudi 16 avril dans le Nouvel Observateur contre "la médecine mercantile" mise en avant, selon eux, par le projet de loi Bachelot, déjà voté par les députés et que les sénateurs examineront à partir du 11 mai.

Parmi les signataires figurent notamment le gynécologue-obstétricien René Frydman, le neurologue Olivier Lyon-Caen, l'endocrinologue Arnaud Basdevant ou encore le diabétologue André Grimaldi, tous de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

"ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'HÔPITAL PUBLIC"

Selon eux, cette loi "porte en elle la disparition" de la médecine hospitalière "au profit d'une médecine mercantile", et "les premières victimes en seront les patients et les soignants". Elle "cale l'hôpital sur l'entreprise" en renforçant les pouvoirs du directeur d'établissement qui "pourra n'avoir aucune compétence médicale" mais "arrêtera le projet médical de l'établissement". "Dans le même temps, on organise des suppressions massives et injustifiées d'emploi d'infirmiers et d'aides-soignants", ajoutent-ils, s'inquiétant aussi de l'alignement des tarifications sur celles du secteur privé, soumis à moins de contraintes.

"L'hôpital public doit être réformé. Mais certainement pas de cette manière", poursuit le texte, avant de formuler des pistes. "Si cette loi n'est pas amendée, elle s'appliquera sans nous", préviennent-ils encore, demandant l'organisation d'urgence "d'états généraux de l'hôpital public".

"Demain, côte à côte, et pour la première fois, infirmières, agents hospitaliers et administratifs, médecins seront dans la rue", rappellent-ils en allusion à la grève des opérations non urgentes et à la manifestation prévues le 28 avril par le récent Mouvement de défense de l'hôpital public, en association avec des syndicats de personnels non médicaux de l'AP-HP. Les présidents des commissions médicales d'établissements (CME), peu enclins au conflit, ont de leur côté menacé de démissionner si le volet hôpital de la loi Bachelot n'est pas modifié.

BACHELOT : "UNE MAUVAISE GESTION EST LA PIRE ENNEMIE D'UNE MÉDECINE DE QUALITÉ"

La ministre de la santé a répondu, jeudi, aux signataires de l'appel par le biais d'une tribune publiée dans Le Figaro. Estimant que le projet de réforme a été bâti "à partir des propositions des neuf cent mille personnes qui travaillent à l'hôpital", la ministre dénonce "une caricature" de son texte. "La mauvaise gestion est la pire ennemie d'une médecine de qualité", écrit Roselyne Bachelot, tout en défendant la réforme de la tarification, avant d'interpeller les signataires : "Veulent-ils en revenir à la dotation globale qui constitue le financement le plus injuste ?"

Concernant le maintien des emplois, Roselyne Bachelot préfère évoquer son bilan. "L'hôpital public a vu ses effectifs croître de 11,4 % les dix dernières années et de vingt-cinq mille personnes en son cœur et à la périphérie l'année dernière", écrit-elle.

vendredi 10 avril 2009

Hôpital, manif et grève des réunions

Hôpital, manif et grève des réunions , Eric Favereau, 10 avril 2009

Ce n'est pas la grève du bistouri, plutôt celle du stylo. En tout cas, c'est inédit. Mercredi soir, une motion a été adoptée à l'issue d'une AG des médecins de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, appelant à une «grève administrative immédiate» pour protester contre la loi Bachelot sur l'hôpital.

«Devant le refus du gouvernement d'accepter tout amendement à la loi dite Bachelot, la communauté médicale de l'AP-HP a décidé d'appeler à l'action l'ensemble des médecins des hôpitaux. À partir d'aujourd'hui, nous arrêtons toute participation aux activités de gestion hospitalière : comités exécutifs locaux, comités consultatifs médicaux, commission médicale d'établissement, réunion de pôles, etc.» Et ils ajoutent, menaçants : «Nous informons le gouvernement et les sénateurs qui vont discuter et voter la loi que, si elle n'est pas amendée, elle s'appliquera sans nous.»

Depuis maintenant trois semaines, le mouvement de grogne des médecins est monté, certes à la vitesse d'un train de sénateur et avec parfois beaucoup d'incohérence. Mais à force, il commence à prendre de l'ampleur. A Paris et dans toute l'Ile-de-France, des assemblées générales se sont tenues ces jours-ci dans les hôpitaux de l'AP : La Pitié, Saint-Louis, Tenon, Bichat, Beaujon, Bretonneau, Saint-Antoine. Tous adoptent une même motion, dénonçant cette loi qui «vise à démédicaliser les décisions».

Le coeur du litige, on le connaît, Nicolas Sarkozy l'a répété à maintes reprises : «Il faut un et un seul patron à l'hôpital.» Avec cette loi, adoptée le mois dernier par les députés et qui va être débattue à partir du 28 avril au Sénat, ce sera le cas. Le directeur aura des pouvoirs très étendus. Il présidera le directoire, nommera seu l les chefs de pôles, validera le projet médical. «On est passé de l'ère du mandarin à celle du PDG, analyse le Pr André Grimaldi, diabétologue à La Pitié, en pointe dans la contestation. Ce projet fait éclater la communauté hospitalière car c'est le directeur qui choisira, un par un, les médecins avec qui il veut travailler.»

Mercredi soir, dans un amphi de l'hôpital Cochin, à Paris, l'ambiance était à l'action. Avec une foule de près de 300 médecins, dont un grand nombre de stars de la médecine parisienne. Les propos sont virulents. «C'est historique, jamais les médecins ne se sont retrouvés ainsi, appuyés par toutes les organisations syndicales», répétait le Dr Bernard Granger, psychiatre, un des animateurs de la révolte. Tous appellent le personnel médical et les usagers de la santé à se joindre à eux. Avec, en point d'orgue, une manifestation, le 28 avril, jour de la reprise des débats. «Il faut que tout l'hôpital soit dans la rue, ce serait catastrophique s'il n'y avait que les médecins», a expliqué le Pr Lyon-Caen.

Cela sera-t-il suffisant, tant le mouvement est encore disparate ? Dans les tiroirs, d'autres actions sont en préparation. Ainsi, une lettre-pétititon a été signée par la grande majorité des chefs de pôles de l'Assistance publique, menaçant de démissionner. «Ce sera sans nous», écrivent-ils. Il y a également une lettre, écrite par les présidents des commissions médicales d'établissements (CME) et adressée aux sénateurs : «Mesdames et messieurs les sénateurs, il est encore temps de réagir et de changer la future loi. L'avenir des hôpitaux est entre vos mains ! Nous proposons, avec les présidents de CME de CHU, des amendements qui rendent nécessaires l'avis du représentant de la communauté médicale dans les processus de décision de la gouvernance de l'hôpital. Nous comptons sur votre attachement au bien public pour soutenir cette démarche.»

Nul ne doute du malaise ambiant. Pour autant, la suite est incertaine. Certes, cette grève administrative va perturber la vie des hôpitaux. Mais en province, la contestation est plus timide. «Ils sont gênés», lâche un médecin parisien. D'autant que le contexte politique est délicat. Tant à Matignon qu'au ministère de la Santé, on se dit «prêt à bouger» et à faire des concessions. «Mais tout se passe à l'Elysée, note le Pr Coriat. Et à l'Elysée, ils sont obsédés par une seule idée : un patron et un seul.»

Eric Favereau

L'hôpital, allergique au pédégé

L'hôpital, allergique au pédégé , François Aubart, 10 avril 2009

Et voilà que les A.G. ramènent sur les bancs des amphis des cohortes de professeurs de médecine, de présidents de comité importants, de greffeurs de mains et autres fleurons de la médecine française. Comme le décrit le papier du jour d'Eric Favereau, le mouvement pour hétérogène qu'il soit prend de l'ampleur. Et voilà que ces derniers jours les motions parisiennes infusent les hôpitaux provençaux comme ceux de la Bretagne et ceux de la France des régions. Que se passe-t-il?

La Loi "HPST" a été adoptée à l'assemblée le 18 mars et sera examiné au sénat le 12 mai. Après, procédure d'urgence exige, c'est une commission mixte qui trouvera les aggiornamentos.

Alors quel est l'objet de cet incendie naissant soufflé par le joli vent de mai? Voilà un an que le président Sarkozy l'avait dit: il faut un seul patron à l'hôpital. Depuis, il l'a répété bon nombre de fois et son entourage le décline à l'envie. Finalement cet objectif est-il déraisonnable? Le directeur, chef d'établissement, détient dans la loi cette responsabilité centrale. Il faut bien que quelqu'un arbitre. Mais il y a patrons et patrons ou plutôt chefs et chefs. Après passage au parlement, la loi crée un management pour le moins musclé. Le directeur nomme tous ceux qui, médecins comme administratifs, vont être aux responsabilités essentielles. Le général nomme son état major et l'armée va avancer! C'est feindre de confondre efficacité et autoritarisme. La multiplication de contrepouvoirs est sûrement source d'immobilisme. Mais piloter l'hôpital à la hussarde en choisissant quelques docteurs complaisants pour disposer d'un vernis médical aux décisions est une erreur nuisible aux malades.

La réforme de l'hôpital se heurte à de nombreux handicaps. D'abord, l'hôpital dispose d'un corps de directeurs dont la formation fermée et étanche fragilise les recrutements et les compétences. L'hôpital c'est aussi le lieu des conservatismes dont la communauté médicale n'est pas exempte. Mais chacun sait que la véritable efficience dont l'hôpital a besoin doit reposer sur une alchimie bien particulière: il lui faut un fort investissement médico-économique des médecins, et un corps de directeur rénové. Mais voilà, quand le projet de loi s'écarte brutalement du modèle médicalisé pour un modèle de pédégé surpuissant la communauté médicale se sent renvoyée au rang d'effecteur de tâches et oscille entre révolte et désengagement.

Pour imaginer l'avenir, indiquons que deux parlementaires (Mrs Bur et Préel) ont fait adopter 2 amendements qui instaurent (dans 3 ans) une perspective de régulation de l'installation des médecins et qui, pour le second oblige les praticiens à adopter des tarifs conventionnés si la clinique où ils exercent assume des missions de service public. Et là, ce sont les jeunes, internes et chefs de clinique, qui montent au créneau. La plupart d'entre eux imaginent et préparent leur avenir loin des rivages hospitaliers. Tout ce qui ressemble de près ou de loin à une remise en cause de l'existant provoque ire et contestation. Ils rejoignent les hospitaliers dans leur réprobation.

A l'hôpital, les mouvements d'importance associent de façon quasi obligatoire une mobilisation des médecins, soit avec les internes soit avec les infirmières. Les responsables le savent bien. Alors? Il faudra bien un peu bouger. Le gouvernement choisira-t-il de retirer les deux amendements Bur et Préel pour rester droit dans ses bottes sur la gouvernance hospitalière? A l'inverse, aiguilloné par les sénateurs, assouplira-t-il sa position sur le pilotage hospitalier? Une chose est sûre: à désespérer et à créer le désengagement de la communauté médicale, on aboutit à l'émergence en France d'un modèle d'hôpital de Prisunic dont le premier perdant sera le malade. Souhaitons que ce ne soit pas la solution retenue

François Aubart