mercredi 9 mars 2011

Le traitement du cancer coûte-t-il trop cher ?

Le Point.fr - Publié le 09/03/2011

C'est la question à laquelle tente de répondre un groupe de l'Académie de médecine. Il prône un bon emploi des nouveaux médicaments.

Les sommes dépensées pour traiter certains malades du cancer (mais c'est vrai aussi pour d'autres affections) ont de quoi faire peur.

C'est d'ailleurs avec un article paru dans le New York Times en juillet 2009 que le vice-président du Comité consultatif national d'éthique avait attiré l'attention du groupe de travail de l'Académie nationale de médecine sur le prix des médicaments.

À partir d'un exemple concret, l'auteur de cette enquête se demandait s'il était éthique de dépenser 54 000 dollars pour allonger une vie de quelques mois.

Dans notre pays, le pourcentage des dépenses consacrées aux médicaments du cancer est - encore - faible (un peu plus de 1 % des dépenses pharmaceutiques de l'Assurance maladie), mais les prix de certains nouveaux médicaments connaissent une croissance très forte, et atteignent des niveaux jusque-là méconnus.

"Un traitement est considéré comme cher lorsqu'il coûte plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers d'euros, par malade et par an", avance le professeur Jacques Rouëssé, ancien directeur du centre anticancéreux René-Huguenin de Saint-Cloud et membre de ce groupe de travail.

Des remèdes chers pour quelques semaines de survie

Mais ce spécialiste fait la différence entre trois types de situation concernant ces molécules, pour la plupart dites "ciblées", puisqu'elles n'ont d'effet que si la tumeur a des caractéristiques bien définies.

Tout d'abord, des traitements ont profondément transformé le pronostic de certains cancers, comme les leucémies myéloïdes chroniques, et de tumeurs gastriques très rares. Ils permettent de longues rémissions, avec une bonne qualité de vie.

"D'autres entraînent des régressions seulement transitoires, mais dans des tumeurs jusqu'à présent impossibles à soigner, comme celles du rein et du foie", explique le professeur Rouëssé. "C'est donc un espoir à creuser."

Enfin, certains médicaments ne rajoutent, en moyenne, que quelques semaines de survie dans des cancers contre lesquels on dispose déjà de médicaments.

"Cela veut dire que certains malades ne vont absolument pas en bénéficier, tandis que d'autres vont avoir des survies prolongées et de qualité", précise le spécialiste. "Comme on ne peut pas le prévoir, on donne le traitement en tenant compte de divers critères, au cas par cas."

Augmentation régulière de l'espérance de vie

Globalement, l'utilisation de ces thérapeutiques spécifiques a permis d'augmenter de façon assez régulière la survie des patients atteints de nombreux cancers métastatiques.

Pour les tumeurs colorectales, la médiane de survie était de 11,3 mois dans les années quatre-vingt en utilisant des chimiothérapies standard et elle est actuellement de 25,1 mois avec les chimiothérapies nouvelles.

Pour les cancers broncho-pulmonaires, ces chiffres sont respectivement de 2,4 et 12 mois. Pour certains cancers du sein particulièrement sévères, on est passé de 10 à 31 mois.

Le but des auteurs de ce travail était de tirer la sonnette d'alarme et d'insister sur l'absolue nécessité de prescrire à bon escient les médicaments chers.

"La France est le pays qui utilise le plus d'anticancéreux", remarque le professeur Rouëssé. "Nos résultats sont bons, mais pas supérieurs aux autres. Il faut donc correctement évaluer et suivre les bénéficiaires de ces médicaments, comme on le fait lors d'un essai thérapeutique."

Enfin, les spécialistes rappellent que, selon le plan Cancer 2003-2007, les dépenses de l'Assurance maladie pour cette pathologie sont de l'ordre de 14 milliards d'euros par an, contre 17 milliards pour les maladies cardio-vasculaires.

Entre 2004 et 2007, ces dépenses ont crû de 7,2 % pour le cancer, de 8,5 % pour les maladies cardio-vasculaires, de 12,6 % pour les affections psychiatriques et de 16,1 % pour la maladie d'Alzheimer et les démences.

mardi 8 mars 2011

Hôpitaux publics : pour les médecins, la direction "décode" à plein tube !

Le Point, 8 mars 2011

Tous les établissements de santé sont financés selon leur activité. Mais le codage qui permet de la calculer est un casse-tête.

À l'hôpital, on frise l'hystérie. En particulier à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), premier centre hospitalo-universitaire (CHU) de France et d'Europe.

La direction du groupement hospitalo-universitaire (GHU) de Cochin-Hôtel Dieu-Broca menace à demi-mot de faire porter sur ses chefs de service la responsabilité des futures suppressions de postes en cas de codage incomplet des actes médicaux.

Dans un courriel envoyé le 19 janvier 2011 et que nous nous sommes procuré, Stéphane Pardoux, directeur adjoint de ce GHU, rappelle ainsi que "300 séjours génèrent plus d'un million de recettes, soit l'équivalent en masse salariale de 25 agents". En clair : si vous codez mal ces séjours, vous ferez perdre tant de postes...

"Jusque-là, de tels arguments pouvaient éventuellement être évoqués oralement, mais désormais la direction ne se gêne pas pour l'écrire. Elle est complètement décomplexée", s'indignent plusieurs médecins.

Un chirurgien ajoute, sous couvert d'anonymat : "Surtout qu'il s'agit d'un pur mensonge, les suppressions de postes sont au programme quelle que soit la qualité de notre codage !" En effet, 4 000 postes doivent être supprimés à l'AP-HP d'ici à 2012, année butoir pour revenir à l'équilibre, selon le ministère de la Santé.

Que représentent ces codes ? Tous les établissements de santé, publics comme privés, sont désormais financés par rapport à leur activité. En principe, plus cette dernière est grosse, plus ils gagnent. C'est ce qu'on appelle la tarification à l'activité (T2A). Une activité calculée grâce au codage : à chaque patient et à chaque étape de son séjour à l'hôpital correspond un code. Et à chaque code correspond un montant en euros.

Ce n'est pas tout : si le malade souffre de plusieurs maux, la hiérarchie des diagnostics, entre le principal et les associés, peut rapporter plus ou moins gros à l'établissement. Autant dire que le codage est devenu capital pour les gestionnaires des établissements de santé... et un vrai casse-tête pour les médecins.

Malaise

À l'AP-HP, dans certains services, les médecins rentrent eux-mêmes les codes alphanumériques correspondant à leurs actes.

Dans les CHU de province, les cliniciens sont surtout tenus de bien informer le médecin DIM - responsable de l'information médicale -, lequel se charge ensuite de transformer les données en codes.

Ce codage est mal vécu par les praticiens hospitaliers qui, même s'ils s'y sont mis, demeurent peu motivés. Ils jugent l'activité trop contraignante et n'y comprennent souvent rien : "À profil de malades constant, on peut très bien ne pas avoir les mêmes euros d'une année sur l'autre", nous explique ainsi le professeur Vergnenègre du CHU de Limoges, l'un des rares centres à finir l'année en positif.

"Car les tarifs des actes évoluent tous les ans." Enfin, les médecins ressentent bien souvent un malaise à considérer leur patient comme une recette. Certains sont même persuadés qu'"à terme, de manière certes insidieuse, le codage pourrait influencer [leur] pratique". Pas au niveau de la sélection des malades, certes, mais dans la manière de les soigner.

"Les durées de séjour optimales en termes de recettes ne sont pas forcément concordantes avec l'intérêt médical du patient", nous avoue d'ailleurs le professeur Frenkiel, responsable de l'unité d'information médicale du GHU de Cochin-Hôtel Dieu-Broca.

Retard face au privé

Reste que dans le cadre de la T2A, "optimiser" et "maximiser" le codage représente sans doute la seule solution de survie des hôpitaux publics en permettant de "générer un maximum de recettes", comme le répètent à l'envi nos interlocuteurs.

Mais face aux cliniques, ils accusent encore un sacré retard ! Alors que dans le privé, la fonction de codeur est professionnalisée depuis longtemps, elle est à ses balbutiements dans le public.

Au GHU de Cochin-Hôtel Dieu-Broca, cette professionnalisation est en cours. Elle devrait se terminer fin 2012 alors que la T2A a été introduite en 2004 et généralisée depuis 2008...

En l'état actuel des choses, "la situation est très en défaveur de l'hospitalisation publique", reconnaît le professeur Frenkiel. Et l'équité de la T2A, plébiscitée au départ car elle devait permettre de financer les établissements selon leur activité, est loin de pouvoir être atteinte.

La faute aux médecins et à leur mauvaise volonté de se mettre à coder ? Aujourd'hui, les médecins DIM reconnaissent en tout cas que l'action de codage est devenue bien trop complexe pour être faite directement, de manière complète et optimale par les cliniciens...

Alors serait-ce cette même autorité administrative qui menace aujourd'hui les médecins qui coderaient mal, la responsable de ce manque à gagner ?

Enveloppe limitée

Malgré tout, même avec lenteur, "le taux d'exhaustivité par rapport au codage souhaité ne cesse de s'améliorer" ces derniers mois, relève Olivier Guigou, cadre administratif à l'hôpital Cochin. Mais il s'agit d'une amélioration surtout quantitative.

Ainsi, en orthopédie, "on a codé plus de 6 000 consultations supplémentaires en 2009 par rapport à 2008, ce qui est colossal !" détaille Olivier Guigou.

De même, dans le service d'urologie de Cochin, des progrès considérables ont été réalisés ces dernières semaines : grâce à un meilleur codage des 19 000 consultations annuelles, "l'activité a augmenté de 6 %, correspondant à une valorisation en recettes de 38 % !"

Les urologues de Cochin reconnaissent cette embellie, mais certains n'hésitent pas à émettre des réserves : "D'une part, il s'agit d'une hausse artificielle de notre activité, puisque c'est simplement par le jeu d'un meilleur codage qu'elle progresse. D'autre part, si on est si forts que ça, on devrait être récompensés, comme on nous le promet dans le cadre de la T2A.... Alors pourquoi notre service est-il un des seuls de l'Assistance publique à disposer encore de chambres à trois lits ?"

L'enveloppe votée par le Parlement chaque année pour le financement de la santé n'est pas extensible. Alors, même si tous les établissements codaient parfaitement et affichaient une hausse de leur activité, les sommes allouées ne pourraient pas être supérieures à celles de l'année précédente.

Difficile de voir comment la T2A pourrait ainsi régler les problèmes colossaux du financement de la santé en France...