mardi 31 janvier 2012

La médecine française a elle aussi ses sans-papiers !

Le Point.fr - Publié le 31/01/2012 à 13:44 - Modifié le 31/01/2012 à 13:45 - Alexandre Ferret

En France, 4 000 médecins diplômés en dehors de l'Union européenne exercent dans les hôpitaux publics. Sans statut, ni reconnaissance.

En France, ils sont 4 000, majoritairement de nationalité française. Ils viennent d'Algérie, du Sénégal, du Canada, de Russie ou encore du Liban. Ils exercent la médecine dans les hôpitaux publics hexagonaux depuis des années. Ils assurent la prise en charge des patients, effectuent des consultations, se rendent au bloc opératoire et réalisent gardes et autres astreintes. Mais au regard de la loi française, ces 4 000 "médecins de fortune" ne sont pas réellement des "docteurs". Pas en raison de leur nationalité. À cause de celle de leurs diplômes.

Ce sont les PADHUE, les praticiens à diplôme hors Union européenne. Leur particularité : ils pourraient exercer librement la médecine dans leur pays d'origine puisqu'ils en sont diplômés. Seulement la France ne reconnaît pas leur diplôme. Du coup, le libre exercice de la médecine en France leur est interdit. Concrètement, les PADHUE ne peuvent aspirer qu'à des postes au sein d'établissements publics de santé. Pourtant, leur importance dans le système français de santé est capitale.

"Je ne connais pas un établissement hospitalier qui pourrait se passer de ses PADHUE. Ils sont incontournables pour le bon fonctionnement du service public de santé français", explique Hocine Saal, secrétaire général du syndicat national des PADHUE. Un constat largement partagé par Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) : "Enlevez les PADHUE et il faudra fermer tous les hôpitaux qui disposent de services de permanence de soins. Au Samu, aux urgences, en chirurgie ou en neurochirurgie, les PADHUE sont légion. Ils assurent les gardes, les astreintes et travaillent les jours fériés. Ils sont indispensables."
Précarité

Alors si dans les faits les PADHUE exercent effectivement la médecine, d'un point de vue administratif, ce ne sont pas des médecins. Du moins, ils ne répondent pas à l'appellation "docteur en médecine". Pour prétendre à cette consécration synonyme d'inscription au tableau de l'Ordre des médecins, les PADHUE doivent se soumettre à un long processus d'évaluation dont l'étape principale passe par la validation de la PAE, la procédure d'autorisation d'exercice. Sans cela, les PADHUE ne peuvent espérer aucune évolution, ni de leur carrière ni de leur salaire. D'ailleurs, pour les mêmes tâches exercées, la rémunération des praticiens à diplôme hors Union européenne est moitié moins importante que celle de leurs confrères diplômés en France. Une précarité certaine qui dure depuis de nombreuses années.

Depuis les sept années qu'elle exerce en France, Widad Abdi a pu mesurer l'ampleur du problème. À 34 ans, elle pratique l'anesthésie depuis plus de dix ans : "J'ai toujours eu le même statut. Du coup, j'ai le même salaire depuis mon arrivée en France, c'est-à-dire celui des internes à leur tout début. Sauf qu'eux, ils ont connu une évolution traditionnelle : je les ai vus prendre du galon, devenir chefs de clinique ou praticiens hospitaliers, avec les responsabilités et les salaires qui vont avec. Moi je n'ai pas bougé."

La raison de cette différence de traitement : à l'heure de la mondialisation de la médecine, la reconnaissance des diplômes étrangers n'est pas automatique. Seuls les ressortissants communautaires (membres de l'Union européenne et de l'Espace économique européen) voient leurs diplômes validés quasi automatiquement. Pour les autres, il faut en passer par la PAE. La communauté médicale souhaite par là préserver le niveau de son système de santé en s'assurant que "les nouveaux entrants ont le niveau". Sur le fond, personne ne conteste l'existence d'un système d'évaluation. "La France ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi en faisant venir n'importe qui. Il faut maintenir le niveau d'excellence de la médecine française, c'est une évidence, personne ne revient sur ce point", tient à préciser Hocine Saal.
La PAE en question

Ce qui est moins unanimement admis, c'est la forme de la PAE, jugée nébuleuse et aléatoire par certains. Elle soulève certains points d'interrogation et parfois même des points d'exclamation, à l'instar du docteur Patrick Pelloux qui pointe du doigt ce système : "C'est ridicule ! La PAE ne veut rien dire. Elle n'est pas adaptée à la réalité du terrain."

Car concrètement, les praticiens à diplômes hors Union européenne doivent d'abord se soumettre à un concours drastique (en 2009, selon le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers, 165 postes étaient disponibles pour 1 078 candidats) avant de passer devant une commission composée de représentants de la communauté médicale. Cet aréopage rendra ensuite un avis définitif sur le praticien, lui autorisant ou non le libre exercice de la médecine en France.

Ce processus est très lourd et rares sont les élus. Widad Abdi est l'auteur de plusieurs publications renommées dans sa discipline, l'anesthésie, et pourtant : "En 2010, en anesthésie, nous étions environ 300 candidats pour 10 à 15 postes. À chaque fois, j'ai bien plus de la moyenne et je n'ai jamais été reçue. D'autant que je n'ai jamais compris les grilles de notation des examinateurs. Sur deux années, pour la même matière, j'ai eu plus de 6 points d'écart entre les deux notes."

"Ce dispositif est beaucoup trop lourd. Il y a par exemple des épreuves de connaissances du français ! Pourquoi ne pas faire passer des épreuves sportives aussi tant qu'on y est ? Il faut arrêter avec l'hypocrisie. Si ces personnes-là exercent depuis des années, c'est bien qu'elles sont compétentes ! Sinon personne dans le monde médical ne les ferait travailler", s'insurge Patrick Pelloux.
Compétences

Il apparaît pourtant difficile d'assurer que les 4 000 PADHUE soient tous du même niveau. Certaines voix s'élèvent d'ailleurs contre ce postulat. "On ne peut présager de rien. L'hypocrisie, c'est aussi de fermer les yeux sur la compétence véritable des PADHUE sous prétexte qu'ils rendent des services à certains hôpitaux, tempère le professeur Benoît Schlemmer, vice-président de la Conférence des doyens des facultés de médecine. Car dans les zones géographiques qui pâtissent d'une faible démographie médicale, les PADHUE incarnent effectivement une solution toute trouvée pour les hôpitaux de petite et moyenne taille. Par exemple, dans l'Orne, à l'hôpital d'Argentan, 40 % des spécialistes sont des PADHUE tandis qu'ils représentent plus d'un tiers des médecins au centre psychothérapique d'Alençon.

"Le système hospitalier fonctionne cahin-caha. Les PADHUE assurent des fonctions que d'autres ne veulent pas forcément faire et, en parallèle, les hôpitaux français ont un énorme besoin en médecins. Avec la PAE, ce n'est pas l'idéal, mais on se dirige vers un système plus juste et moins hypocrite", précise Benoît Schlemmer.
Urgence de la situation

C'est un texte voté - dans l'urgence - qui va permettre de donner une bouffée d'oxygène aux PADHUE. Car, en plus de la polémique sur la PAE, c'est un tout autre problème dont se saisit la communauté médicale : le départ imminent de tous les PADHUE de France. Le Parlement a définitivement adopté le 24 janvier dernier une loi sans laquelle tous les praticiens à diplôme hors Union européenne n'ayant pas validé leur PAE au 31 décembre 2011 se seraient vus frappés d'interdiction d'exercice de la médecine sur le sol français. En tout, 4 000 praticiens à diplôme hors Union européenne se seraient retrouvés dans l'illégalité la plus totale à compter du 1er janvier 2012 et auraient dû quitter la France pour exercer la médecine dans leur "pays de diplôme".

"On ne pouvait pas accepter que tous les PADHUE ne puissent plus exercer la médecine alors que la plupart sont là depuis des années. La FHF (Fédération hospitalière de France, NDLR) est d'ailleurs montée au créneau pour alerter les autorités ministérielles. Il a fallu mettre en place une procédure d'urgence, mais à présent, le processus est plus juste même s'il faut encore attendre les modalités d'application", souligne Cédric Arcos, directeur de cabinet à la FHF, porte-parole des établissements publics de santé.

Dorénavant, les praticiens à diplômes hors Union européenne recrutés en France entre 2004 et 2010 ont jusqu'à fin 2016 pour valider leur PAE. Mais pas seulement. Nouveauté de taille : les PADHUE peuvent désormais passer un examen et non plus le concours drastique redouté par tous. La moyenne devient le seul obstacle. Alors même s'il faut encore attendre la publication des décrets d'application pour effacer toutes les préoccupations, une porte s'ouvre avec cette loi pour les 4 000 praticiens à diplôme hors Union européenne qui exercent la médecine dans les hôpitaux français depuis 2004. Celle de faire reconnaitre leur diplôme et leur qualité de médecin. En espérant que tout puisse enfin rentrer dans l'ordre. Et les PADHUE aussi...

jeudi 19 janvier 2012

Les médecins étrangers pourront continuer à exercer en France

Le Monde, 18 janvier 2012

Les députés français ont adopté mercredi 18 janvier à l'unanimité une proposition de loi UMP qui proroge jusqu'au 31 décembre 2016 l'autorisation d'exercer pour les professionnels de la santé titulaires d'un diplôme obtenu hors de l'Union européenne. Théoriquement, ils ne pouvaient plus exercer dans les hôpitaux en France depuis plus de quinze jours, puisque le dispositif qui les encadrait arrivait à terme au 31 décembre 2011.

Selon le rapport de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, près de 4 000 praticiens, médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes et sages-femmes étrangers sont concernés par cette autorisation d'exercer.

Ce texte reprend une mesure qui avait été introduite dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 mais que le Conseil constitutionnel avait censurée, estimant qu'elle n'y avait pas sa place. Le Sénat devrait examiner à son tour cette proposition de loi dans les prochains jours.

Le droit d'exercer des médecins étrangers prolongé jusqu'en 2016

Le Monde, 19 janvier 2012

Le feuilleton touche-t-il à sa fin ? Les députés ont adopté à l'unanimité, mercredi 18 janvier, une proposition de loi permettant de lever la menace d'interdiction d'exercer qui pesait sur environ 4 000 médecins étrangers exerçant en France en leur permettant de continuer à exercer jusque fin 2016.

Ces praticiens, qui ont un diplôme passé dans un pays n'appartenant pas à l'Union européenne et qui n'avaient pas obtenu à temps leur équivalence avaient jusqu'au 31 décembre 2011 pour régulariser leur situation.

Leur départ aurait menacé le fonctionnement de bon nombre d'hôpitaux de province qui peinent à recruter des médecins français. Leur présence y est devenue indispensable, notamment en chirurgie, en anesthésie ou obstétrique, mais aussi dans les services d'urgence.

La fin d'année 2011 aura été particulièrement tendue pour ces praticiens venus souvent d'Afrique, du Maghreb ou du Proche-Orient. Le gouvernement pensait avoir réglé la situation en intégrant à l'automne un amendement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui permettait un report de la date limite pour réussir les épreuves.

Mais le 16 décembre, le Conseil constitutionnel avait jugé que la disposition n'avait pas sa place dans le budget de la Sécu et avait censuré la disposition. Préparée en catastrophe, une instruction du ministère de la santé du 21 décembre, soit dix jours avant la date fatale, a permis de prolonger, à titre temporaire, les autorisations d'exercer, en attendant le vote d'un texte législatif approprié.

REMPLACEMENT DU CONCOURS

La proposition de loi de Jean-Pierre Door, député UMP du Loiret, permettait de reporter de 2011 à 2014 la date limite pour obtenir l'équivalence pour ces médecins au statut précaire. Un amendement ajouté par M. Door a été adopté en séance pour prolonger l'autorisation d'exercice jusqu'en 2016.

Le texte concerne aussi les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens et les sages-femmes recrutés avant 2010. Pour éviter qu'à nouveau, des praticiens échouent aux concours d'équivalence alors qu'ils exercent en France depuis des années, les modalités de validation des connaissances devraient changer, avec notamment le remplacement du concours, avec un nombre de places limitées, par un examen.

Cet aménagement devrait éviter aux praticiens étrangers d'être recalé même si la moyenne a été obtenue. Des formations complémentaires pourraient aussi être organisées. Ces décisions seront prises par décrets.

" Ce texte permet d'éviter des situations catastrophiques pour certains confrères et certains établissements, mais il ne règle pas tous les problèmes ", estime cependant Blaise Kamendje, secrétaire générale de l'Intersyndicale nationale des praticiens à diplôme hors Union européenne.

Il s'interroge sur le sort des praticiens exerçant à des postes non-médicaux, travaillant dans les laboratoires ou enseignant, qui restent exclus des épreuves de validation des connaissances. Le texte doit maintenant être examiné par le Sénat, lundi 23 janvier. Les députés ont bon espoir d'obtenir un vote conforme.

" Si le Sénat ne donnait pas un avis conforme, il faudrait repasser à l'Assemblée alors qu'il y a urgence", explique le député Jean-Pierre Door. Les médecins à diplôme non-européen exercent aujourd'hui grâce à l'instruction ministérielle qui a prolongé leur droit de pratiquer jusqu'à l'adoption de la nouvelle loi, mais leur situation est délicate sur le plan juridique. En cas d'accident médical, des problèmes de responsabilités pourraient être soulevés, et donner lieu à de complexes contentieux.


Laetitia Clavreul