jeudi 7 mai 2009

Hopital ce qui doit changer

Hopital: ce qui doit changer, le Nouvel Observateur, 7 mai 20093

La fronde contre la réforme Bachelot et l'application à l'hôpital public d'une logique gestionnaire ouvre un débat national. Après avoir publié la pétition des 25 professeurs de médecine à l'origine du mouvement, «le Nouvel Observateur» présente toutes les pièces du dossier

Une fois n'est pas coutume, le mouvement est parti d'en haut, des «bac+25», ces professeurs de médecine parvenus au faîte de leur spécialité, plus familiers des blocs opératoires et des congrès scientifiques que des défilés protestataires.

«Il fallait bien qu'on finisse par se faire entendre. Nous avons un métier et une conscience, tout de même», rigole Olivier Lyon-Caen, neurologue à la Pitié-Salpêtrière. Avec son confrère André Grimaldi, diabétologue, ils ont battu le rappel de leurs pairs. Une flopée d'e-mails plus tard, «l'appel des 25» contre la loi Bachelot et «l'hôpital entreprise» était lancé dans «le Nouvel Observateur». Ces vingt-cinq-là, à une exception près, n'exercent pas de manière privée à l'hôpital.

Ainsi, contrairement à ce qu'ont laissé entendre le gouvernement et le secrétaire général de la CFDT François Chérèque, ils ne sauraient être suspectés de défendre leurs dépassements d'honoraires ! Ils furent donc bien vite rejoints par 20 00 signataires sur le site du «Nouvel Obs». Puis par des milliers de manifestants le 28 avril 2009, sur le macadam parisien.

«Je n'étais jamais sorti manifester dans la rue pour mon métier... Mais l'hôpital ne peut pas seulement être soumis à une logique comptable. Je ne comprends pas la logique de cette réforme à contresens de l'histoire. Obama est en train de réformer le système américain en s'inspirant de notre modèle, et nous, on fait le contraire en essayant de l'américaniser alors qu'on a vu la catastrophe que cela donnait aux Etats-Unis», lance Xavier Mariette, chef du service de rhumatologie du Kremlin-Bicêtre et signataire de «l'appel des 25», rencontré ce jour-là au milieu des infirmiers et infirmières qui ont rejoint le cortège.

Mauvaise fièvre pour le gouvernement ! Après les magistrats et les enseignants-chercheurs, il s'aliène une corporation d'élite qui lui était pourtant traditionnellement acquise. En tête de cortège, Laurent Lantieri, le chirurgien star qui vient de réussir une greffe historique du visage et des deux mains... Mais aussi Bernard Debré, urologue et ancien ministre RPR, qui incarne à lui seul les contradictions d'une majorité divisée.

Adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, la loi «hôpital, patients, santé, territoires» est aujourd'hui discutée par des sénateurs plutôt remontés contre un texte qui menace les hôpitaux de proximité auxquels sont si attachés leurs grands électeurs locaux...

A la manoeuvre, le sénateur Jean-Pierre Raffarin tout comme Bernard Accoyer, médecin et président de l'Assemblée nationale, souhaitent le voir largement amendé.

Résultat : pour éviter une foire d'empoigne législative, Matignon a déjà modifié sa prescription. Le pouvoir des directeurs d'hôpitaux, bombardés managers de l'hôpital au grand dam des médecins, devrait être tempéré par un retour en force des blouses blanches dans les nominations des chefs de pôle [structures qui regroupent plusieurs services hospitaliers, NDLR].

En outre, pour ménager l'hôpital public, la convergence des tarifs avec les cliniques privées, et donc la concurrence frontale entre les deux secteurs, a été reportée. Cela suffira-t-il ?

«La dérive de l'hôpital vers le tout-gestionnaire et la privatisation est bien plus ancienne que la loi Bachelot, observe Laurent Sedel, chirurgien-orthopédiste à Lariboisière. Les personnels hospitaliers, qui sont soumis à un stress intense, qui souffrent du manque de moyens et d'effectifs depuis des années, ne se contenteront pas d'un habillage politique.»

Bref, il s'agit désormais de porter son regard au-delà d'un texte de loi qui comporte aussi des avancées, notamment la rationalisation de la carte hospitalière.

Car les plaies des hôpitaux sont nombreuses et profondes. Pénurie de personnel soignant, embouteillage aux urgences, inflation réglementaire, bureaucratie et déficits croissants : le sondage exclusif réalisé par l'Institut Moncey auprès de 136 professeurs de médecine pointe les principaux dysfonctionnements.

Tout en soulignant l'excellence de la recherche et la motivation des personnels, les plus éminents médecins, pour qui «l'ère des mandarins est révolue», appellent à une véritable cogestion médicale et administrative qui permettrait de rétablir les finances des établissements tout en préservant l'intérêt des malades.

Les patients et leurs familles, il est vrai, ont établi leurs cahiers de doléances et de propositions depuis belle lurette : ils attirent l'attention des pouvoirs publics sur la dangerosité des petits établissements ou la trop longue liste des erreurs médicales...

Alors osons un voeu : que la mobilisation contre une loi médiocrement conçue puisse servir, entre soignants, administrateurs et usagers de bonne volonté, à moderniser nos hôpitaux qui en ont un besoin urgent, sans abdiquer sur l'essentiel : le combat pour la santé, toujours d'actualité.

Sylvain Courage, Doan Bui
Le Nouvel Observateur