LE MONDE | 29.01.10
Les projets de réorganisation des 37 hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) viennent d'être dévoilés par son directeur Benoît Leclercq, qui a confirmé la suppression de 3 000 à 4 000 postes d'ici à 2012.
La restructuration se justifie, selon la direction, par la nécessité de moderniser l'institution pour adapter l'offre de soins aux progrès techniques et aux besoins de la population. Le tout en garantissant son retour à l'équilibre.
De telles perspectives ont suscité émotion et inquiétude sur l'avenir de la prise en charge des malades et la qualité des soins, notamment dans les hôpitaux Armand-Trousseau ou Hôtel-Dieu, concernés par le transfert de certains de leurs services. Le débat sur l'emploi s'est par ailleurs invité dans la campagne des régionales
Dans ce contexte, Claude Evin, le directeur de la nouvelle Agence régionale de santé (ARS), qui entrera en action le 1er avril 2010 et regroupera les organismes publics du secteur, donne sa vision de l'avenir de l'offre de soins en Ile-de-France.
Pour l'ancien ministre socialiste de la santé, l'AP-HP doit conserver sa spécificité tout en s'inscrivant dans une politique régionale de santé guidée par la "complémentarité" et l'"équité" entre hôpitaux.
La réorganisation de l'AP-HP commence à se dessiner avec, à la clé, peut-être des milliers de suppressions de postes. Que pensez-vous des décisions en cours ?
L'AP-HP réfléchit à ses options stratégiques depuis un an et demi en interne pour prévoir son organisation future. Nous entrons maintenant dans une phase de concertation avec la communauté médicale, le personnel mais aussi avec les partenaires extérieurs. Sur la question de l'emploi, je n'ai pas à m'immiscer dans des décisions internes. Mais en tant que directeur de la nouvelle ARS, j'aurai mon mot à dire sur l'offre de soins.
Ma préoccupation est qu'elle soit organisée en complémentarité avec les autres hôpitaux d'Ile-de-France, publics mais aussi privés. Il n'est plus question que l'AP-HP soit gérée indépendamment de toute considération régionale.
Faut-il y voir la fin de la spécificité de la "citadelle" AP-HP ?
Personne n'envisage de remettre en cause l'institution AP-HP. Sa spécificité demeurera : à elle seule, elle représente 50 % des publications françaises en matière de recherche. Cette excellence devra être sauvegardée et développée. Cependant, il ne faut pas oublier que sa mission est aussi d'assurer les soins de proximité qui représentent 95 % de son activité.
Le sort de l'AP-HP a toujours été réglé au niveau ministériel. Votre ARS aura-t-elle les coudées franches, au même titre que celles des autres régions ?
Les choses vont évoluer. Une tutelle conjointe sera exercée par l'ARS et les ministères de la santé et du budget sur l'AP-HP. Au regard de ce qu'elle représente, soit 90 000 emplois et plus de 6 milliards d'euros de budget, il n'est pas anormal que le gouvernement s'en préoccupe. Néanmoins, il serait illusoire de vouloir bâtir une offre de soins régionale sans un dialogue direct entre ARS et AP-HP. J'ai accepté cette responsabilité, j'entends bien l'exercer.
Quel rôle va jouer l'ARS dans la définition de l'accès aux soins des Franciliens ?
J'ai deux missions. L'une sera de veiller à ce que les moyens financiers soient répartis dans un souci d'équité. Il s'agit d'une question de justice, et de défense du service public. Le débat devra avoir lieu dans la transparence. Il existe de grandes disparités de résultats d'activité entre les établissements de l'AP-HP même et des différences importantes de moyens entre l'AP-HP et d'autres hôpitaux publics, dont l'activité est comparable.
Mais ma mission essentielle sera de garantir une bonne organisation du système. Je compte m'attacher à diminuer les inégalités d'accès aux soins, en luttant par exemple contre les déserts médicaux dans les zones rurales et les quartiers défavorisés. Ce qui est paradoxal en Ile-de-France, c'est que si globalement le niveau de santé et l'offre de soins sont excellents, les inégalités de santé, territoriales ou populationnelles, demeurent grandes. On trouve par exemple encore des cas de tuberculose ou de saturnisme dans la région.
M. Sarkozy a fixé pour objectif aux hôpitaux un retour à l'équilibre en 2012. Est-ce souhaitable ?
Quand on est attaché à la défense de la protection sociale, fondée sur la solidarité, on ne peut pas considérer le déficit comme un mode de gestion, car cela revient à mettre le système en danger. L'AP-HP doit donc traiter son déficit, car il pénalise en outre sa capacité d'emprunt, donc d'investissement. En 2009, il a été de l'ordre de 100 millions d'euros, et il s'accélère. Si aucune mesure n'est prise, son déficit cumulé s'élèvera à 1 milliard d'euros en 2012. Ce n'est pas acceptable.
Propos recueillis par Laetitia Clavreul et Cécile Prieur