Cancer : "Le bénéfice de la prévention ne va pas de soi", Le Monde, 13 juillet 2009
Le dépistage généralisé du cancer du sein, qui consiste à recommander aux femmes âgées de 50 à 74 ans de réaliser une mammographie tous les deux ans, est-il efficace ? Selon une étude danoise publiée vendredi 10 juillet dans le British Medical Journal (BMJ), ce type de dépistage organisé conduirait à surdiagnostiquer un cancer sur trois. Le professeur William Dab, épidémiologiste, ancien directeur général de la santé, titulaire de la chaire hygiène et sécurité au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) décrypte les résultats de cette recherche.
Que pensez-vous de l'étude publiée dans le "BMJ", qui montre qu'un cancer du sein sur trois détecté par les programmes de dépistage serait "surdiagnostiqué" ?
C'est un travail intéressant publié dans une bonne revue, mais qui n'est pas concluant. Les chercheurs danois ont analysé des données d'observation ; cela reste spéculatif. Ils ont regardé la fréquence du cancer du sein sept ans avant et sept ans après l'introduction d'un programme généralisé de dépistage dans cinq pays (Royaume-Uni, Canada, Australie, Suède, Norvège). Ils constatent qu'après la mise en place de ces programmes, la fréquence du cancer du sein augmente et que cette augmentation est du surdiagnostic.
Les données sont de bonne qualité ; l'impact du dépistage apparaît clairement, mais cet impact est-il positif ou négatif ? L'article ne répond pas à cette question parce qu'il ne dit rien sur le pronostic de ces femmes dépistées. N'auraient-elles eu aucun problème sans ce dépistage ou est-ce qu'on leur a sauvé la vie ?
Qu'entend-t-on précisément par "surdiagnostic" ?
On parle de surdiagnostic lorsque sont détectées des anomalies qui ne se seraient pas développées, voire qui auraient régressé spontanément et qui donc n'auraient jamais entraîné de symptômes durant la vie d'une personne. Il concerne aussi les personnes diagnostiquées qui meurent de tout autre chose que de leur cancer.
Le surdiagnostic n'englobe pas les problèmes de faux négatifs et de faux positifs, qui sont liés au fait qu'aucun test en médecine n'est parfait à 100 %. Ces tests peuvent classer "malades" des gens qui ne le sont pas et "non malades" des gens qui le sont. Et même lorsque le test classe correctement une personne, il reste toujours des patients qui n'auraient pas eu de conséquence de leur cancer diagnostiqué.
On ne peut donc pas tirer d'enseignement de cette étude ?
Si. Cette étude est salutaire parce qu'elle met le doigt sur une notion fondamentale : le bénéfice d'un dépistage généralisé n'est jamais évident. Ceci va, en apparence, contre le bon sens, car on croit souvent que prévenir c'est mieux. Or, ce n'est pas si simple que cela, et il est opportun de le rappeler : le bénéfice de la prévention ne va pas de soi. Il faut toujours s'assurer que ses avantages sont supérieurs à ses inconvénients. Je serai favorable à une procédure formelle d'autorisation des grands programmes de santé publique, comme cela se fait pour l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament.
Cette étude remet-elle en cause le bien-fondé du programme de dépistage généralisé du cancer du sein tel qu'il existe en France ?
Non, ces données ne sont pas de nature, à elles seules, à remettre en cause ce type de programme mais elles posent une question pertinente : la prévention peut induire des effets indésirables. Il faut poursuivre les recherches (à travers, par exemple, des indicateurs prédictifs du degré de risque de développement d'un cancer), car les bénéfices de ces programmes pourraient encore être plus grands qu'ils ne le sont.
Les programmes de dépistage de grande ampleur nécessitent un niveau scientifique de preuve très fort. Pour le cancer du sein, il a fallu du temps et beaucoup d'études pour savoir qu'un dépistage généralisé faisait plus de bien que de mal. On "embête" peut-être des femmes mais au total on sauve des vies. Il en est de même pour le cancer colorectal et pour le cancer du col utérin. Pour tous les autres (prostate, poumon), le dépistage génère du chiffre d'affaires, mais il n'y a pas de preuve d'une amélioration de la santé publique.
Pourtant, le dépistage individualisé du cancer de la prostate ne cesse de se développer...
Le niveau de preuve de l'intérêt du dépistage généralisé du cancer de la prostate n'est pas suffisant. On ne peut pas raisonner en santé publique comme on raisonne en clinique. Dans le premier cas, nous avons une obligation de résultats, dans le second, une obligation de moyens. Lors des dépistages, nous allons au-devant des personnes. Elles sont bien portantes et n'ont rien demandé. Ethiquement, nous avons donc une obligation de résultat, c'est-à-dire qu'il est indispensable d'avoir la preuve scientifique qu'on fait plus de bien que de mal.
Propos recueillis par Sandrine Blanchard