lundi 22 novembre 2010

Qu'est-il arrivé au Dr Yves Benhamou?

- Le "french doctor" était trop bavard, France Soir, par Jérôme Sage le 06/11/10

Un médecin français a été arrêté aux Etats-Unis où il fait l’objet de poursuites pour délit d’initié. Il est accusé d’avoir transmis des informations stratégiques sur des essais cliniques qu’il supervisait pour le compte d’un laboratoire.

Le centre de convention Hynes de Boston, dans l’état américain du Massachusetts, lundi dernier. Des chercheurs du monde entier sont rassemblés pour cinq jours, autour du « Liver meeting », un congrès de médecine consacré aux maladies du foie. Parmi ces médecins, Yves Benhamou, 50 ans. Gastro-entérologue, hépatologiste, ses travaux sur l’hépatite C, sur les liens de ce virus avec le sida lui ont donné une réputation internationale. Qu’ils se déroulent à Bangkok, à Hawaii, à New York ou à Vienne, il est de tous les congrès. A Paris, il exerce sa spécialité au prestigieux centre hospitalier de la Pitié-Salpêtrière.

Dans les allées, entre les étudiants, les jeunes docteurs et les barons de la médecine venus partager leurs recherches, il y a aussi des agents du FBI. Ils sont venus arrêter Yves Benhamou. Lui poser des questions, et faire passer la justice, puisque deux plaintes le visent.

L’une pénale, émanant du FBI, l’autre civile, déposée par la Securities and Exchange Commission (SEC), l’instance chargée de surveiller les marchés boursiers à la recherche de fraudes.

En cause, des faits de « criminalité en col blanc » : un supposé délit d’initié. Un délit grave en France, un « crime fédéral » aux Etats-Unis, constitué dès lors qu’un investisseur achète ou vend des actions en étant influencé par des informations dont ne disposent pas les autres acteurs d’un marché.

Nom de code « Albuferon »

Décembre 2007. En plus de ses consultations hospitalières, Yves Benhamou travaille pour l’entreprise Human Genome Sciences Inc. (HGSI), un concepteur et fabricant industriel de produits pharmaceutiques. En projet, l’Albuferon, un nouveau médicament pour le traitement de l’hépatite C.

Avant d’être mis sur le marché, de nombreux tests sont nécessaires, à la fois pour évaluer son efficacité et mettre en lumière des risques pour la santé.

Ces tests en sont à la phase 3, une étape cruciale puisqu’ils sont faits sur 2.250 patients humains, dans le monde entier.

Yves Benhamou est alors l’un des cinq membres du « comité de pilotage » du projet Albuferon, qui quelques jours plus tard doit présenter les résultats de cette étude à une commission indépendante chargée de la sécurité des médicaments. Une commission qui a le pouvoir d’autoriser la poursuite des recherches jusqu’à une éventuelle commercialisation du médicament, ou de les arrêter.

Vu les sommes astronomiques consacrées à la recherche pharmaceutique, une telle interdiction signifie des pertes énormes, démultipliées par l’influence d’une telle « mauvaise nouvelle » sur la valeur boursière de HGSI.

Benhamou, conseiller de l’ombre

Or, sur les quelques milliers de « cobayes » humains de cette phase 3, deux ont connu, en prenant ce médicament expérimental, des problèmes pulmonaires graves. L’un d’entre eux est mort. Une embûche majeure pour l’Albuferon, qui risque du coup de ne jamais voir le jour.

La date fatidique de la publication de ces résultats est fixée au 23 janvier 2008. Jusque-là, tous les chercheurs associés au projet sont tenus au secret le plus strict. Parmi eux, donc, Yves Benhamou. Dans les heures et les jours suivant la publication de ces résultats, l’action HGSI à la bourse perd 44 % de sa valeur. Une catastrophe pour de nombreux investisseurs.

Pourtant, un actionnaire massif de l’entreprise, le fonds d’investissement FrontPoint, spécialisé dans les technologies médicales et pharmaceutiques, basé sur la côte est américaine et dans le célèbre paradis fiscal des îles Caïman, s’en tire à merveille.

Dans les six semaines précédant cette annonce, il s’est débarrassé de plus de 6 millions d’actions HGSI, évitant des pertes estimées à 30 millions de dollars. Bien joué, peut-être même un peu trop…

« Vends tout »

Car en se penchant un peu plus précisément sur ces ventes massives d’actions, le FBI et la SEC ont découvert un troublant manège.

Yves Benhamou se révèle, en plus de ses consultations hospitalières et sa collaboration au « projet Albuferon », avoir une troisième casquette, celle de consultant plus ou moins officiel pour l’un des gestionnaires de portefeuille boursier du fonds FrontPoint…

Ainsi, les deux plaintes contre Yves Benhamou recensent de nombreux échanges – e-mails, coups de téléphone, conversations par messagerie instantanée… – qui ne peuvent que rendre suspect le médecin français d’avoir rompu ses obligations de confidentialité, et de s’être rendu coupable de délit d’initié.

Exemple : le 10 décembre 2007, Yves Benhamou est à Hawaii, pour un congrès sur les hépatites. Il envoie un mail à son contact de Frontpoint, suggérant une conversation. Les deux hommes se téléphonent.

« Immédiatement après cet appel », selon l’agent spécial Michael Howard qui a rédigé la plainte du FBI, le contact du fonds d’investissement joint un cadre de FrontPoint, qui joint à son tour un trader, donnant l’ordre suivant : « prépare-toi à vendre la moitié des actions HGSI ». L’inquiétude grandit, alimentée par les informations du médecin.

Le 18 janvier 2008, à moins d’une semaine de la publication des résultats des tests qui vont sonner la mort de l’Albuferon, Benhamou les reçoit par courrier électronique. Dans les minutes qui suivent, il contacte son « ami » du fonds d’investissement par téléphone. Qui, sept minutes après l’appel, sonne l’alarme à l’oreille d’un trader : « Vend les actions HGSI. Toutes. »

En attendant son transfert à New York dans les prochaines semaines, Yves Benhamou attend dans une cellule de Boston. Il risque 25 ans de prison pour « conspiration » et « fraude boursière ». Ainsi finit peut-être le parcours brillant d’un médecin qui a fait le serment de protéger le secret médical, pris aujourd’hui en faute pour d’autres secrets…