Le Monde, 18/11/2010
Paris n'est pas un désert médical, loin s'en faut. Mais à y regarder de plus près, selon les quartiers, les types d'exercice, ou les tarifs, on peut avoir du mal à y trouver un médecin au tarif de base.
Cette difficulté d'accès aux soins de ville de premier recours (généraliste, dermatologue, gynécologue...) amène désormais la classe moyenne à fréquenter des centres de santé.
"La forte densité médicale globale lisse de très fortes disparités", note une étude sur la répartition des médecins en France, menée notamment par le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), publiée mercredi 17 novembre 2010.
Elle relève par exemple que le 7e arrondissement compte 56 spécialistes pour 10 000 habitants, contre moins de 8 dans le 18e. Et ces chiffres ne disent pas tout puisque "la véritable difficulté des Parisiens, c'est d'avoir accès à un spécialiste au tarif de la Sécurité sociale", ajoute Christian Saout, le président du CISS.
Un organisme qui n'est pas seul à s'intéresser à la question. Une étude commandée par la Ville de Paris et la caisse primaire d'assurance-maladie sur les centres de santé, non publiée, et un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) d'Ile-de-France dressent le constat d'un déséquilibre.
Parmi les médecins libéraux exerçant à Paris, 33 % sont généralistes et 67 % spécialistes. Il y a en fait dans la capitale une densité de spécialistes trois fois supérieure au niveau national.
Ils sont inscrits en secteur 2 (honoraires libres) à 68 %, contre 39 % pour la France.
C'est aussi à Paris que la fréquence et le niveau des dépassements d'honoraires par rapport au tarif non remboursé par la Sécurité sociale sont les plus importants.
Au sein des généralistes, Paris se caractérise par sa forte proportion de médecins dits à exercice particulier. Ils pratiquent notamment l'homéopathie, l'acupuncture, la médecine d'urgence, comme SOS-Médecins, ce qui leur permet de gagner plus. Ils sont 27 % au total, contre 12 % en France, note le CESE.
Au final, la densité de "vrais" généralistes parisiens est inférieure à la moyenne. Bien inférieure, même, dans les arrondissements du nord-est, où la situation pourrait même devenir critique.
Peu à peu, le recours aux urgences hospitalières pour des raisons non vitales est donc devenu courant. Au point que 15 % seulement des entrées y débouchent sur une hospitalisation.
Entre 2005 et 2008, les passages aux urgences des établissements de l'Assistance publique ont augmenté de 9,4 %.
Certains Parisiens, et pas seulement les plus démunis, ont trouvé une autre solution : les centres de santé, où la tarification en secteur 1 (tarif de la Sécurité sociale) est obligatoire.
"Ils étaient victimes de leur image caricaturale de lieu d'accueil des plus pauvres, mais, et cela a été pour nous une surprise, depuis quelques années, ils sont fréquentés par beaucoup de personnes issues de la classe moyenne", explique Alain Coulomb, consultant et ancien directeur de la Haute Autorité de santé, auteur de l'étude remise à la Ville de Paris.
Les difficultés à trouver un médecin ou à en payer les honoraires expliquent cette évolution. Voire le souhait - de principe - de ne pas dépenser une fortune, même si l'on en a les moyens.
"Les gens sont perdus avec les changements des montants de remboursements de la "Sécu", et la diversité des tarifs (secteur 1, avec ou sans dépassement, secteur 2, etc.).
Ici, ils savent combien ils vont payer", explique Danièle Pozza, directrice de l'Institut Alfred-Fournier, dans le 14e arrondissement, un centre à l'origine spécialisé dans les infections sexuellement transmissibles.
Son établissement compte 40 généralistes et spécialistes, qui réalisent un total de 100 000 consultations par an. S'y côtoient 1 % d'ouvriers, 31 % d'employés, 13 % de cadres et cadres supérieurs...
Au conseil de l'ordre des médecins de Paris, on explique qu'il n'y a plus d'installation en secteur 1 parce que les coûts sont prohibitifs, surtout les loyers.
"Pour l'instant, il n'y a pas de problèmes d'accès aux soins, mais dans les cinq ans à venir, cela pourrait être dramatique car la moyenne d'âge des médecins est de 55 ans", prévient la présidente, Irène Kahn-Bensaude, inquiète de l'évolution du nombre de généralistes classiques.
Pour attirer des candidats en réduisant les charges, le développement des maisons de santé, où des médecins libéraux exercent côte à côte, est souvent préconisé. Comme le sont les centres de santé pour ceux séduits par le salariat. On compte 87 centres conventionnés à Paris, municipaux, associatifs ou mutualistes.
Un héritage historique, et là encore une particularité. Déjà, ils représentent 13 % des consultations de généralistes, et 15 % de celles des spécialistes (même 30 % en dermatologie ou ORL).
Face à leur situation financière souvent délicate, à la petite taille et aux locaux aux allures de dispensaires de certains, l'étude prône une modernisation, voire des regroupements.
"Il faut sortir des statistiques globales et regarder la situation au plus près", juge Jean-Marie Le Guen, adjoint (PS) à la santé, qui constate que, dans le nord de la capitale, les généralistes sont surchargés.
Paris réfléchit à un plan d'action pour dynamiser ces centres.
Le CESE d'Ile-de-France appelle à trouver les moyens d'accompagner les médecins intéressés par une installation intra-muros ou en banlieue. Mais ni la Ville de Paris, ni la région n'ont en charge l'organisation de l'offre de soins.
Laetitia Clavreul