mercredi 30 juin 2010

L'AP-HP se déleste de ses legs

Le Monde, 30 juin 2010

A vendre : dunes, forêts, château, immeubles... le tout appartenant aux Hôpitaux de Paris. Alors que, jusque-là, l'AP-HP cédait pour environ 10 millions d'euros par an de biens privés, souvent issus de legs, elle veut multiplier ce chiffre par deux ou trois cette année et les suivantes.

L'idée est de financer en partie la modernisation de son parc hospitalier, prévue dans le plan 2010-2014 qui sera bientôt voté. Au total, l'objectif est de récupérer de 200 à 400 millions d'euros sur quatre ans, dont la moitié en patrimoine non hospitalier.

La règle est toujours la même, "ni brader ni spéculer", selon le directeur général, Benoît Leclercq. L'AP-HP a vendu, ces dernières années, des trésors, comme le Théâtre Mogador (5,5 millions d'euros) ou un hôtel Holiday Inn (14 millions). Mais il reste quelques bijoux de famille, que certains s'attristent de voir partir.

Pour que les millions tombent, et vite, ce sont d'abord les "biens de prestige" facilement cédables qui sont proposés à la vente. Sept appartements, seize chambres de bonne, deux locaux d'activité : au 5, rue Andrieux, dans le 8e arrondissement de Paris, c'est tout l'immeuble qui est à vendre. Il devrait rapporter de 5 à 7 millions d'euros.

Six autres immeubles des quartiers chics seront mis peu à peu en vente, après accord du conseil de surveillance. Leurs adresses ne seront dévoilées qu'une fois les occupants prévenus. Il y a aussi des appartements isolés, comme ces petits lots issus d'un même legs, aux 6 et 8, rue Houdard-de-Lamotte, impasse du 15e arrondissement.

Et il n'y a pas que Paris. Du patrimoine foncier de l'AP-HP, on en trouve dans 30 départements. Dans les prévisions de cessions de 2010, il y a ainsi des pavillons à Pau, Fontainebleau ou Neuilly-sur-Marne, dont la vente est actée. D'autres, au Vésinet, aux Sables-d'Olonne ou à Laval, pourraient être votées. Héritage également d'un temps où il était de coutume de céder des biens aux hôpitaux, il reste aussi 681 hectares de terres agricoles, bois et forêts. Plus de 400 vont être cédés.

Malgré la vente, ces dernières années, de deux stades, d'une station-service et du terrain d'une mosquée, il demeure toujours des biens insolites. Au programme des cessions 2010, il y a 6 hectares de dunes à Berck, dans l'enceinte de l'hôpital maritime. En 2002, 192 hectares avaient déjà été vendus au Conservatoire du littoral, 3 500 euros chacun.

A vendre également, tous deux issus de legs du début du XXe siècle, le château de Cercamp, à Frévent, dans le Pas-de-Calais, et un manoir à Roscoff. Outre la bâtisse, cette propriété contient un terrain de 2 hectares, une chapelle, un logement, une ancienne ferme et un bâtiment hospitalier. Il avait été loué en 1920 pour quatre-vingt-dix-neuf ans au Centre héliomarin de Roscoff, qui souhaite se désengager.

Difficile de se douter que tout cela appartient à l'AP-HP. Même chose pour cette jolie école municipale, à laquelle sont adossées une crèche et une PMI, rue de Monceau, à Paris (8e). Une rue plus connue pour abriter des sociétés d'assurances et de la finance.

Deux autres établissements scolaires ne sont pas dans la liste 2010, mais n'ont pas plus d'intérêt à être conservés : le lycée hôtelier Belliard (18e) et, à deux pas de la place de Catalogne, l'établissement régional d'enseignement adapté Crocé-Spinelli. Malgré la plaque "conseil régional d'Ile-de-France" apposée à l'entrée, ils appartiennent à l'AP-HP. Elle ne perçoit aucun loyer, mais ne paie aucuns frais d'entretien.

Bientôt, il sera plus facile de s'y retrouver. L'AP-HP prépare pour l'automne un site Internet où seront indiqués les biens à acquérir. Mais lui restera-t-il longtemps du patrimoine privé à céder ? Les ventes s'accélèrent, et les legs ne sont plus si courants. "Il fut un temps où la France était un pays de rentiers, ça a changé", rappelle Marc Dupont, directeur adjoint du service juridique. Ce qui explique aussi pourquoi les legs immobiliers cèdent peu à peu la place à ceux constitués de contrats d'assurance-vie, liquidités et lingots d'or. Ceux qui lèguent aujourd'hui des biens à l'AP-HP sont surtout d'anciens patients, enfants de l'Assistance publique ou salariés sans héritiers.

En moyenne, il n'y a plus que deux legs immobiliers par an. En 2009, il n'y en a même eu qu'un, constitué d'un studio, d'un deux-pièces et d'une cave, au 1, rue de la Grande-Chaumière, près de Montparnasse. Certes, l'immeuble n'a pas le prestige de ceux que s'apprête à vendre l'AP-HP, mais le lot s'est quand même vendu 464 000 euros. L'ancienne propriétaire, Marthe T., a aussi légué 400 000 euros à l'AP-HP. Soit près de la moitié du 1,9 million perçu en 2009. Une bonne année.

De fait, les plus grosses sommes viennent des parcelles hospitalières libérées à la suite de restructurations. Des ventes qui se chiffrent en millions d'euros, voire en dizaines de millions, mais qui nécessitent des années, car il faut négocier avec la Mairie de Paris, qui dispose d'un droit de préemption. Une grande bataille se prépare ainsi, celle de la vente de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, qui fermera en 2011. L'AP-HP en attend 130 millions.

Et après, que vendra-t-elle ? Peut-être des bâtiments d'une grande valeur financière, mais aussi sentimentale. L'hôtel Scipion, qui abritait les anciennes boulangeries, transformées en logements et salles de réunion ? Ou bien son siège, qui fait majestueusement face à l'Hôtel de Ville. La question de sa vente est déjà plus ou moins posée, le plan 2010-2014 prévoyant sa réorganisation. Elle pourrait rapporter plus de 150 millions, mais sera contestée. "Il symbolise l'unité de l'AP-HP", rappelle Marie-Christine Farrarik, du syndicat SUD. Un sujet tabou, alors que le démantèlement de l'institution est redouté.

Reste à savoir si le nouveau conseil de surveillance, qui devait élire son président mercredi 30 juin, souhaitera la poursuite de cette politique. Devant le besoin d'investissement et l'impératif de retour à l'équilibre budgétaire fixé par l'Elysée, il pourrait ne pas avoir le choix.

Laetitia Clavreul