mardi 29 juin 2010

Appel pour une refondation des études médicales

L'Express, 30 juin 2010

Douze médecins sont signataires de l'appel pour une réforme des études médicales.

Les arguments pour une refonte des études médicales

Un consensus se dégage pour considérer qu'il faut repenser la médecine de ville notamment pour la rendre de nouveau attractive pour les jeunes médecins et éviter la création de déserts médicaux en France.

De nombreuses évolutions de la formation initiale des médecins ont permis d'enrichir leur connaissance du métier de médecin généraliste. Le récent rapport de la mission Legmann propose dans ce sens de rajouter des stages dans leur cursus.

Cependant la situation est devenue critique car l'écart entre ce que les médecins réalisent sur le terrain et ce qu'ils pourraient faire devient important. Cela peut être une source de frustrations pour les jeunes praticiens. Cela peut être une possible perte de chance pour les patients.

Cela entraîne aussi des coûts importants pour la société, comme par exemple:

- des retards d'orientation vers les urgences se traduisant par davantage de décès ou de formes graves et chroniques, comme des hémiplégies, dont la charge est économiquement très lourde,

- trop d'actes inutiles sont demandés à la recherche de causes à faible probabilité, quand des diagnostics essentiels ne sont pas faits, entraînant des prises en charge coûteuses alors que des traitements spécifiques et précoces auraient pu être efficaces,
- trop de traitements sont inutilement prescrits, quand des explications et l'usage d'approches complémentaires pourraient être avantageusement proposés.

Les progrès médicaux ont été tels depuis 30 ans que l'enseignement séculaire des études médicales n'est plus adapté. Il faut repenser en profondeur les études de médecine pour rendre la formation beaucoup plus pratique, l'objectif de cette refonte étant d'enrichir considérablement l'exercice médical, et cela dans toutes les spécialités (médecine générale et autres spécialités). C'est cet enrichissement de la pratique médicale qui devrait redonner tout son sens au métier, et contribuer à ressusciter des vocations.

Il faudra plus d'une dizaine d'années pour que l'impact d'une telle réforme se fasse pleinement sentir. À plus court terme, c'est l'enseignement de la spécialité de médecine générale qu'il faut enrichir. À défaut d'une profonde révision des études médicales, une simple réorganisation de la médecine de ville n'aura qu'un effet très limité en termes de santé publique.

La proposition de réforme

D'une manière générale, l'enseignement devrait être organisé non plus uniquement sur l'acquisition de savoirs, mais sur l'acquisition de compétences selon des objectifs actualisés chaque année.

- Dans ce but les études devraient, dès la 2ème année, associer savoirs théoriques, connaissances pratiques et savoir agir dans des domaines transversaux afin de constituer un tronc commun homogène initial. L'enseignement des spécialités se ferait ensuite sur la base d'une liste de problèmes médicaux et de situations cliniques dont la connaissance est incontournable, tant du fait de leur fréquence que de leur caractère de gravité*.

- Dans cet esprit, il faudrait plutôt réserver les enseignements de la faculté à la pratique, en s'appuyant notamment sur une banque de photos et de vidéos cliniques. Les sciences dites fondamentales, anatomie, histologie, biochimie, etc. devraient être acquises en fonction des pathologies étudiées, et être disponibles sur un site Internet, les étudiants pouvant en prendre connaissance au préalable.

- Cela impliquerait que les enseignants en médecine puissent consacrer beaucoup plus de temps à leurs étudiants et que l'évaluation continue des pratiques soit organisée tout au long des études médicales. Cela nécessiterait aussi que des moyens techniques soient dévolus à cet enseignement pratique et que ces moyens soient en permanence accessibles aux étudiants désireux de s'entraîner collectivement.

- L'apprentissage de l'examen clinique dans sa globalité serait organisé dès la 2ème année, sous forme de travaux pratiques. Il porterait aussi sur l'acquisition des techniques complémentaires simples, pouvant être réalisées partout, comme l'électrocardiogramme, le doppler (de poche), la spirométrie, l'otoscopie, etc. La pratique de l'échographie deviendrait la base de l'enseignement de l'anatomie qui serait orienté vers l'anatomie en coupes, améliorant ainsi la lecture des imageries standard.

- L'apprentissage des gestes d'urgence, y compris l'intubation, se ferait sur des mannequins. La pratique des gestes simples comme les points de suture, la pose d'une sonde vésicale, le frottis cervico-vaginal, ferait pleinement partie des compétences à valider.

- L'enseignement de la prévention serait renforcé, toujours dans un sens pratique (organisation des dépistages, prévention des infections sexuellement transmissibles, des maladies chroniques (facteurs de risques), éducation thérapeutique, aide au sevrage du tabac et de l'alcool, prévention des risques iatrogéniques notamment chez le sujet âgé).

- Cette forme d'enseignement serait plus à même d'entraîner les futurs médecins à intégrer chaque année les constants progrès médicaux, et à utiliser les bases de connaissances dans leur pratique quotidienne comme celles disponibles pour prescrire des médicaments.

Les 12 signataires

Cancérologie : Dr Thierry Dorval / Institut Curie - Cardiologie: Pr Daniel Thomas / Pitié-Salpêtrière - Chirurgie digestive: Pr Yves Panis / Beaujon - Chirurgie vasculaire et Angiologie: Pr Jean-Pierre Becquemin / Henri Mondor - Gynécologie-Obstétrique: Pr Emile Darai / Tenon - Médecine générale: Pr Max Budowski / Paris VII - Médecine générale et échographie: Dr Olivier Walusinski / Brou (Perche). - Médecine générale, éthique de santé et tabacologie: Dr Philippe Presles / Paris - Neurologie: Pr Olivier Lyon-Caen / Pitié-Salpêtrière - Pneumologie: Pr Charles-Hugo Marquette / Nice - Psychiatrie: Dr Paul Bensussan / Expert DSM-IV, Versailles - Urologie: Pr Olivier Traxer / Tenon