lundi 29 mars 2010

Procès de la Clinique du sport : prison ferme pour deux médecins

Le Monde, 17 mars 2010

Ce fut le premier d'une longue série de scandales médicaux liés aux infections nosocomiales. Mercredi 17 mars 2010, plus de vingt ans après les premières contaminations de patients de l'ancienne Clinique du sport, à Paris – aujourd'hui rebaptisée Centre médico-chirurgical Paris V –, le tribunal correctionnel de Paris a rendu un jugement sévère : le directeur Pierre Sagnet a été condamné à quatre ans de prison dont 18 mois ferme et 50 000 euros d'amende. Le chirurgien Didier Bornert a été condamné à deux ans de prison, dont six mois ferme, et le troisième chirurgien poursuivi, Patrick Béraud, à huit mois de prison avec sursis.

Une contamination détectée sur le tard

L'affaire éclate au grand jour le 11 septembre 1997, dans Le Parisien, qui évoque le cas d'une victime, Béatrice Ceretti, opérée en 1991 d'une hernie discale à la Clinique du sport et hospitalisée trois ans plus tard, en raison de violentes douleurs dans la colonne vertébrale.

Après une longue errance médicale et de nombreux diagnostics, la cause de ses douleurs est identifiée début 1997 : une infection post-opératoire au xenopi, un germe de la famille de l'agent de la tuberculose, remontant à sa première opération.

Béatrice Ceretti découvre, par la médiatisation de son cas, que 57 autres patients opérés des lombaires ou des cervicales entre janvier 1988 et mai 1993 dans cette clinique parisienne ont été contaminés. Tous souffrent au niveau de leur colonne vertébrale, rongée par une tuberculose osseuse.

Les autorités sanitaires ouvrent un numéro vert en octobre 1997 et nomment des experts ; la clinique est brièvement fermée. Treize patients, les plus gravement touchés, déposent plainte au pénal ; les autres engagent des poursuites au civil pour obtenir des indemnisations. Ils estiment que les méthodes de l'établissement ont fait passer la rentabilité avant leur sécurité, et dénoncent la lenteur des réactions des autorités médicales.

L'enquête

L'instruction-fleuve va mettre au jour une succession de manquements et de carences, dont deux principaux : la contamination du circuit d'eau potable de l'établissement par la mycobactérie xenopi et les mauvaises pratiques de stérilisation reprochées à trois chirurgiens.

Une première alerte est déclenchée dès 1989, après la découverte de la bactérie dans les lombaires d'un patient lyonnais opéré un an plus tôt. Une étude est conduite au sein de l'établissement, mais personne ne pense alors à analyser l'alimentation en eau du bloc opératoire. La cause de l'infection n'est pas identifiée, et aucune suite n'est donnée à cette alerte.

Pourtant, les cas d'infection de patients opérés du rachis se multiplient : au premier semestre 1993, la clinique en a identifié neuf.

Le docteur Pierre Sagnet, directeur de l'établissement, alerte alors la Direction générale de la santé, la Ddass et le Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales.

Ce dernier enquête et conclut que "la source de l'épidémie était une contamination des instruments chirurgicaux (...) lors d'un rinçage à l'eau du réseau sanitaire de la clinique". Des questionnaires de satisfaction sont envoyés aux patients, mais ne les informent pas du risque de contamination. Il faudra donc attendre l'article du Parisien pour que l'affaire prenne une dimension publique et que la justice intervienne.

En 2001, les experts judiciaires soulignent le non-respect des règles de stérilisation des instruments chirurgicaux : en raison du grand nombre d'interventions programmées, certains instruments n'étaient pas stérilisés par la chaleur, mais placés dans une solution désinfectante et rincés avec l'eau filtrée du lave-mains du bloc opératoire.

Encore plus inquiétant, selon les témoignages d'aide-soignants, du matériel à usage unique aurait été réutilisé pour plusieurs interventions par l'un des praticiens.

Le procès et les réquisitions

Trois chirurgiens, Pierre Sagnet, Didier Bornert et Patrick Béraud, sont poursuivis pour "coups et blessures involontaires" et "non-assistance à personne en danger".

Lors de leur comparution en octobre 2009 devant la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris, les prévenus ont assuré avoir appliqué les règles d'hygiène en vigueur à l'époque et utilisées "par tous, partout".

Leur défense a également insisté sur le fait que la stérilisation du matériel ne relevait pas de leur responsabilité mais de celle du personnel médical.

Dans ses réquisitions, le parquet a clairement distingué la responsabilité de Pierre Sagnet, qui était aussi, au moment des faits, directeur de la clinique, contre lequel il a requis trois ans de prison, dont deux avec sursis, et 30 000 euros d'amende. Il lui est aussi reproché d'avoir tardé à endiguer l'épidémie et à informer les patients potentiellement contaminés.

Contre les deux autres médecins, Didier Bornert et Patrick Béraud, le parquet a requis des peines respectives de deux ans de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende pour le premier, et huit mois avec sursis pour le second.

Les condamnations

Mercredi 17 mars, le tribunal correctionnel de Paris a condamné le directeur Pierre Sagnet à quatre ans de prison dont 18 mois ferme et 50 000 euros d'amende.

Didier Bornert a été condamné à deux ans de prison, dont six mois ferme, et Patrick Béraud à huit mois de prison avec sursis.

Les peines de Pierre Sagnet et de Didier Bornert sont donc bien plus sévères que les réquisitions du ministère public.

Pierre Sagnet s'est dit "très, très mal" à la sortie de la salle d'audience. "Je suis meurtri, déçu. J'essaie de comprendre. On a jugé avec les connaissances d'aujourd'hui quelque chose qui s'est passé il y a vingt ans", a-t-il dit.

Les docteurs Sagnet et Bornert ont indiqué qu'ils feraient appel de ce jugement.

Le retentissement de l'affaire

L'affaire de la Clinique du sport représente le premier scandale de contaminations à grande échelle dans un établissement hospitalier. Par le biais de l'association qu'ils ont créé, Le Lien, les patients de la clinique se sont mobilisés pour alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur l'urgence de la lutte contre ces infections.

En 2002, Le Lien obtient que la loi reconnaisse le droit à l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux et d'infections nosocomiales. Aujourd'hui, ces infections sont considérées comme un problème de santé publique.

Dans les hôpitaux, les règles d'hygiène ont été rendues plus strictes, avec utilisation de solutions hydro-alcooliques et lavage systématique des mains. En parallèle, le ministère de la santé a entrepris de mesurer la qualité de l'hygiène de chaque hôpital.

Les infections nosocomiales continuent toutefois de faire des ravages. En 2006, elles ont touché près de 5 % des patients hospitalisés, et sont la cause de 4 000 décès par an.


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Pour en savoir plus :

- Ils m'ont contaminée, le livre-témoignage de Béatrice Ceretti, paru aux éditions L'Archipel en 2004

- Le site du Lien, l'association d'aide aux victimes d'infections nosocomiales, créée par d'anciens patients de la Clinique du sport

- Le texte de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits du malade sur le site Légifrance

- Le plan du gouvernement 2009-2013 de prévention des infections associées au soin, présenté en juillet 2009 par le ministère de la santé