lundi 29 mars 2010

Les chirurgiens de la Clinique du sport payent pour leur grave silence

Claude Rambaud, juriste et présidente du Lien. Le Monde, 17 mars 2010

Vingt-deux ans après les premières contaminations à la bactérie xenopi de patients opérés à la Clinique du sport, à Paris, la justice a enfin rendu son jugement, mercredi 17 mars : deux des trois praticiens poursuivis ont été condamnés à de la prison ferme – le directeur Pierre Sagnet à quatre ans de prison, dont dix-huit mois fermes, et le chirurgien Didier Bornert, à deux ans de prison, dont six mois fermes.

Claude Rambaud, juriste et présidente du Lien, l'association de défense des victimes d'infections nosocomiales, analyse la portée de ce jugement.

Quel est votre sentiment à l'annonce de ce jugement ?

Claude Rambaud : C'est une condamnation juste mais sévère : les peines de prison ferme sont très rares pour des affaires médicales, à moins de violences volontaires, mais qui ne concernaient pas le dossier de la Clinique du sport. A part pour le scandale du sang contaminé, on a rarement vu de telles condamnations.

Si les juges ont prononcé des peines de prison ferme, c'est qu'ils ont estimé qu'il y avait eu une prise de risque délibérée pour les patients. C'est très grave et cela va donner à réfléchir à énormément de praticiens qui ne respectent pas les bonnes pratiques et qui passent outre les recommandations de lutte contre les infections nosocomiales.

L'instruction du dossier de la Clinique du sport a duré plus de dix ans. Le jugement est rendu treize ans après les premiers dépôts de plaintes. La justice a-t-elle été trop lente ?

C'est très long, surtout pour les victimes qui attendent. On peut déplorer cette lenteur de la justice française, mais celle-ci permet aussi de révéler des éléments du dossier qui autrement seraient passés inaperçus. Aujourd'hui, la justice est rendue, mais elle n'est pas définitive puisque les deux condamnés comptent faire appel. Les victimes doivent donc se préparer à encore plusieurs mois de galère.

Vous présidez l'association Le Lien qui représente les victimes d'infections nosocomiales. Comment les douze ex-patients de la Clinique du sport qui se sont portés partie civile ont-ils vécu ce procès ?

Cela a été très douloureux. Les victimes ont par moment été découragées. J'ai vu des anciens patients de la clinique pleurer car ils estimaient que le jugement n'arriverait jamais. Les victimes sont très atteintes par la longueur des procédures. [Signe de leur lassitude, une seule des douze parties civiles s'est déplacée, mercredi, pour entendre le jugement.]

L'affaire de la Clinique du sport a été la première à entraîner une prise de conscience du problème des infections nosocomiales. Il y a eu un avant et un après-Clinique du sport. Pensez-vous que ce jugement, sévère, constituera lui aussi un tournant, sur le volet juridique cette fois ?

Effectivement, l'affaire a déjà marqué puisque c'est à travers le scandale de la Clinique du sport que la lutte contre les infections nosocomiales a avancé, que les structures de surveillance ont été rendues plus contraignantes – bien qu'elles ne marchent pas toujours très bien –, et que le gouvernement a mis en place un plan de lutte pluriannuel.

Mais ce que je retiens de ce jugement, c'est que les praticiens de la Clinique du sport payent aussi leur silence. Quand les premiers cas de patients contaminés au xenopi ont été découverts à la Clinique du sport dès 1989, pourquoi l'équipe n'a-t-elle pas rappelé immédiatement l'ensemble des patients ? C'est grave, aussi grave que de ne pas avoir utilisé de l'eau stérile, car cela a entraîné la détérioration de la santé des victimes.

Malgré la médiatisation de cette affaire et des autres cas qui ont suivi, y a-t-il toujours un déficit d'information des patients potentiellement atteints ?

Oui, un grave déficit. Au Lien, nous recevons toutes les semaines des dossiers dans lesquels on a caché aux patients qu'ils étaient potentiellement atteints d'une infection nosocomiale. Du coup, les symptômes ne sont pas traités et la victime n'est pas orientée vers les bons circuits de soins. Dans le cas d'une infection au xenopi, lorsque les premières douleurs apparaissent, l'os est déjà complètement rongé. Il est donc trop tard.

La loi de 2002 sur les droits des malades stipule que tous les accidents médicaux doivent être déclarés, or ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui. Quand va-t-on rendre obligatoire la déclaration des accidents médicaux ? Les professionnels n'informent pas les patients, n'informent pas les autorités administratives. C'est un acte anti-citoyen car nous ne pouvons pas faire de prévention. Il faut sortir de ce silence et qu'on arrête de mépriser les patients victimes.

Propos recueillis par Mathilde Gérard