LEMONDE.FR | 15.12.09
hon.ake : Bonjour, la crainte d'un service public hospitalier avec de moins en moins de moyens, de personnels et la crainte d'avoir des services de moindre qualité est-elle une réalité ?
André Grimaldi : La première chose qu'il faut souligner, c'est que dans la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires), le nom même de service public hospitalier a disparu. On ne parle plus que d'établissements de santé ayant des statuts différents.
Cette loi a été faite pour donner tout le pouvoir aux gestionnaires, avec comme mission l'équilibre financier, et pour obtenir cet équilibre, la réduction du personnel soignant. Le personnel, c'est 70 % des coûts de l'hôpital : infirmières, aides-soignants et médecins.
Ce qui est choquant, c'est que la ministre n'a cessé de dire qu'elle ne diminuait pas les emplois dans les hôpitaux, qu'elle les avait même augmentés. La réalité sur le territoire national, c'est une suppression programmée de 20000 emplois.
Plus de 1000 l'an dernier, 1 000 supplémentaires cette année, rien qu'à l'Assistance publique de Paris, sans aucune perspective médicale qui permette de comprendre ces suppressions. On vous dit : faites plus avec moins de personnel soignant.
C'est vrai dans les grandes villes, à Lille, à Lyon à Marseille...
MIUEL X. : Je suis un très ancien patient du groupe Pitié-Salpêtrière, étant passé tout d'abord par les services de neurochirurgie, il y a un peu plus de vingt ans. Aujourd'hui, avec tout ce paquet d'annonces gouvernementales pour l'avenir, l'hôpital ne deviendra-t-il pas une simple "machine à fric" ?
Olivier Lyon-Caen : L'hôpital ne deviendra certainement pas une "machine à fric". C'est même l'inverse. Il y a finalement, derrière tout cela, une gigantesque contradiction. D'un côté, on veut équilibrer les comptes de la Sécurité sociale et, pour cela, on met dans une même enveloppe l'hôpital public et les structures privées ; et de l'autre côté, on demande à l'hôpital de remplir ses missions en réduisant ses budgets.
Comment allons-nous pouvoir continuer à répondre à nos missions alors même que l'on rogne sur tout ce qui permet le fonctionnement, l'investissement, l'innovation ?
Le problème, ce n'est donc pas que l'hôpital devienne une "machine à fric", mais qu'il ne devienne une "machine à perdre". Et on est au seuil de cette rupture.
philippe : Quelles sont les menaces concrètes qui pèsent sur le système hospitalier, selon vous ?
André Grimaldi : La première menace, c'est que si l'on supprime des emplois de soignants (particulièrement des emplois d'infirmières), cela a deux conséquences. La première, c'est une menace sur la qualité des soins : si vous devez vous déplacer d'un service à l'autre, vous êtes obligé de changer de service pour boucher les trous. La deuxième, c'est qu'à un moment donné, le seuil est franchi et on décide de fermer l'activité, ou une partie de l'activité.
Quels critères retient-on pour fermer une activité ? On ferme celle qui est jugée non rentable. Par exemple, le sujet âgé qui a de nombreuses pathologies, qui a fait un accident vasculaire, il n'est pas rentable, donc peut-être vaut-il mieux garder une autre activité rentable. On choisit donc des critères qui ne correspondent pas à des critères de besoins de la population, mais de rentabilité financière. Comme le ferait une clinique privée.
Tarnier : On reproche à votre mouvement d'être corporatiste et immobiliste. Que répondez-vous ?
Olivier Lyon-Caen : Si l'on se réfère au passé, cette observation n'est pas fausse.
Jusqu'à ces dernières années, les mouvements médicaux hospitaliers étaient essentiellement corporatistes.
Aujourd'hui, cette situation est dépassée. La meilleure preuve, c'est l'union qui existe entre, d'un côté, les médecins, de l'autre, les soignants, y compris les syndicats, et enfin, un grand nombre de directeurs hospitaliers.
Il y a donc une convergence de tous les acteurs de l'hôpital pour aujourd'hui s'inquiéter profondément de la nouvelle politique mise en œuvre par les pouvoirs publics.
simplet : Mais ne dit-on pas que vous, les médecins, êtes mal organisés ? Que vous n'êtes pas là quand le personnel est là et vice versa ?
André Grimaldi : On dit beaucoup de choses, et sûrement peut-on faire des progrès en organisation.
Je remarque que la ministre (Roselyne Bachelot), qui a mis l'accent sur ce problème, a elle-même organisé la vaccination contre la grippe A. Comme modèle, heureusement qu'on fait mieux qu'elle. Le problème de l'organisation n'est pas facile.
A la Pitié-Salpêtrière par exemple, on a restructuré et regroupé trois services de cardiologie dans un grand institut du cœur. Pareil en neurologie. Je participe moi-même à la constitution d'un institut d'endocrinologie qui va regrouper cinq services.
Alors que les cliniciens sont prêts, cela fait quatre ans qu'on attend que les gestionnaires suivent. Au fond, cela aurait pu être un des sujets de la loi HPST. Or elle ne s'est pas préoccupée de cette question importante.
Chris : Compte tenu de l'état des comptes de la "Sécu", n'est-il pas nécessaire de rationaliser l'offre de soins ?
André Grimaldi : C'est évident qu'il faut rationaliser l'offre de soins. Mais on est étonné que des décisions simples, ayant un effet immédiat sur les comptes de la Sécurité sociale, ne soient pas prises.
Trois exemples : il y a, pour l'estomac, un médicament qui vaut beaucoup plus cher qu'un médicament absolument similaire : l'Oméprazole, qui vaut beaucoup moins cher. Si la Sécurité sociale décidait que seul l'Oméprazole serait utilisé, ce serait 100 millions d'euros d'économies immédiates.
Dans l'hypertension artérielle, il y a deux familles de médicaments d'efficacité identique. Si la Sécurité sociale faisait savoir à tous les médecins qu'il faut prescrire le médicament le moins cher, ce sont 400 millions d'euros qui seraient économisés. Ces chiffres sont communiqués par le médecin-conseil de la Sécurité sociale.
Dans ma spécialité, le traitement par pompe à insuline était géré par les hôpitaux. La Sécurité sociale a décidé de déléguer la gestion à des prestataires privés, Nestlé et Air liquide. Le coût de l'opération pour la Sécurité sociale a été multiplié par trois.
Des économies, on peut donc en faire. En organisation, mais aussi dans cette logique du business de la santé. Et on est étonné parfois de ce que la Sécurité sociale laisse filer.
JB Ricco : La restructuration des CHU (centres hospitaliers universitaires) a commencé depuis plusieurs années en province sans susciter beaucoup de remarques de la part de la presse généraliste, ni d'ailleurs de nos collègues parisiens, qui se sentaient à l'abri...
Olivier Lyon-Caen : Il est vrai que les restructurations en province ont commencé il y a de nombreuses années et que cela a mis du temps à venir à Paris. Cela tient à deux choses : d'abord, à la taille même de l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), qui est incomparablement plus lourde que les CHU de province ; d'autre part, je pense que cela est dû à une non-anticipation de l'impact que pourrait avoir la création d'un grand hôpital comme Georges-Pompidou sur l'organisation générale des soins dans toute une partie de Paris. Il y a eu probablement un défaut de planification.
Maintenant, le problème est un problème à la fois de volonté et de temps. Le problème de volonté, c'est que l'Assistance publique se trouve écartelée, finalement, entre des pouvoirs qui sont rarement compatibles les uns avec les autres : gestion quasi en direct des ministères de la santé et des finances, rôle de la mairie, rôle aussi de la région, puisque l'Assistance publique est un énorme prestataire pour la région Ile-de-France.
Et autant la mise en réflexion commune des intervenants me paraît être simple en province, autant elle a toujours été compliquée à Paris.
Deuxième chose : le temps. En fait, il y a trois étapes quand on veut faire bouger les choses : le temps de la réflexion, le temps de la conviction, et le temps de la réalisation.
La réflexion suppose qu'il y ait véritablement des gens qui soient au-dessus de la mêlée et qui entament un programme qui tienne compte de l'évolution des métiers.
La conviction : là, c'est vrai que le corps médical a une certaine inertie, pour ne pas dire une grande inertie. Mais, comme le disait André Grimaldi, on peut arriver à réfléchir, proposer et convaincre.
Le problème, c'est qu'entre le moment de la décision et celui de la réalisation, il s'écoule des années. Et là, on a pris à l'Assistance publique, sans aucun doute, un retard certain.
Jhon.ake : On voit de plus en plus de complexes hôpitaux-cliniques se former. Est-ce le signe avant-coureur de leur privatisation ?
André Grimaldi : Hélas, oui. Mais il semble que l'on veut aller vers un système mixte, mi-français, mi-américain, où il y aurait du public pour les urgences, les cas très graves, les personnes qui ne peuvent pas payer leurs soins, et le reste serait dans le privé commercial.
Il y a des gens qui pensent qu'on va mettre des cliniques privées au sein de l'hôpital public. Ainsi, le rentable irait au privé, et le non-rentable au public.
C'est une forme de privatisation qui va coûter beaucoup plus cher au pays, et surtout aux familles, aux citoyens. Il faudra avoir des mutuelles.
Olivier Lyon-Caen : Johnny Hallyday s'est fait opérer dans une clinique privée, mais dès que son état lui permettra de rentrer en France, il ira à l'hôpital.
Guest : Pourquoi accuse-t-on toujours les médecins d'être responsables des dépenses ? Les administratifs de l'hôpital travaillent-ils gratuitement ?
Olivier Lyon-Caen : Je ne pense pas qu'on puisse opposer administratifs et médecins. Chacun a son rôle. Et les administratifs sont là pour nous aider dans la réalisation d'un projet médical. Nous sommes complémentaires.
André Grimaldi : Ces réformes ont pour conséquence une inflation bureaucratique. On a augmenté les niveaux de décision – les directeurs, sous-directeurs – de 30 % en cinq ans.
Donc, on est dans une réforme de type libéral, mais on le fait à la française, avec la bureaucratie. On a les inconvénients des deux.
Leo : Doit-on démolir certains hôpitaux pour les reconstruire ? A Paris, Cochin ou la Pitié-Salpêtrière sont divisés en pavillons, on y perd un temps fou dans la circulation des malades vers les services techniques...
Olivier Lyon-Caen : Vous évoquez un problème très important : on a pris un retard considérable dans l'investissement hospitalier et l'architecture hospitalière.
Ce que nous défendons, c'est qu'il y ait une vraie politique d'investissement, de rénovation des hôpitaux, fondée sur les besoins de santé publique. Et c'est en rénovant et repensant l'organisation hospitalière que l'on pourra penser à une réduction des emplois.
Ce n'est que comme ça que l'on peut envisager d'influer sur le nombre des emplois de l'Assistance publique.
François : A propos du déficit de la "Sécu", on peut le réduire par les dépenses, bien sûr, mais aussi en augmentant les recettes ! Par exemple, en supprimant le bouclier fiscal. Non ?
André Grimaldi : Le président de la Cour des comptes avait fait remarquer que si l'on taxait normalement, par exemple, les stock-options, 3 milliards d'euros rentreraient dans les caisses de la Sécurité sociale. En période de récession économique, la Sécurité sociale perd des recettes.
De toute façon, ce serait à la population de décider la part qu'elle veut consacrer à la santé. On pourrait très bien augmenter d'un point la CSG. Cela suppose évidemment de lever le bouclier fiscal.
Il faut savoir que la France, par habitant, dépense exactement la même somme pour la santé que l'Allemagne ou le Canada : environ 3 500 euros par personne.
C'est un choix de société. Les Américains dépensent beaucoup plus que nous, pour un résultat nettement moins bon. Les Anglais dépensent moins, et ont des listes d'attente.
Nous sommes dans la moyenne. Mais vous avez raison, il faut augmenter les ressources de la Sécurité sociale.