jeudi 24 décembre 2009

Olivier Lyon-Caen: "L'hôpital est au bord de la rupture"

lejdd.fr, 18 décembre 2009

Le professeur Olivier Lyon-Caen est chef du service de neurologie de la Pitié-Salpêtrière et candidat PS aux élections régionales en IDF. Il décrypte les raisons de la crise.

Comment expliquer la mobilisation de nombreux chefs de service et médecins de l’AP-HP?

Ce n’est pas un mouvement qui émerge brutalement mais la suite de protestations qui se font entendre depuis de longs mois. La mobilisation implique aussi les infirmières, les aides-soignantes ainsi que les cadres hospitaliers. Nous nous inquiétons tous pour l’avenir du service public.

Pourquoi êtes-vous inquiets?

A cause de la politique actuelle de réduction massive des emplois mais aussi parce qu’il faudra du temps pour mettre en œuvre des restructurations qui soient fondées sur une cohérence médicale et pas seulement dictées par des impératifs financiers. Nous avons été d’autant plus surpris que tous les chefs de service sont désormais devenus des gestionnaires responsables.

Certains diagnostiquent une vraie crise existentielle dans les hôpitaux parisiens et osent la comparaison avec France Télécom…

Il n’y a pas de malaise existentiel chez nous. La vocation, l’envie de servir et d’aider restent chevillées au cœur et à l’esprit de tous les soignants, mais les pressions auxquelles ils sont soumis sont de plus en plus fortes. La situation des infirmières est particulièrement inquiétante. Il n’est pas rare qu’une seule d’entre elles ait, la nuit, la charge de 20 à 25 malades.

Comment faire pour changer en même temps un patient et la perfusion de son voisin de lit? Bien sûr, il y a des jours de récupération mais, comme on manque d’infirmières, elles n’ont pas le temps de les prendre. Bref, on est au bord de la rupture et toute réduction supplémentaire de personnel conduirait à la fermeture obligée de structures médicales. Or si on ferme des structures, on rentre dans un cercle vicieux. Mais peut-être est-ce ce à quoi aspirent certains de nos responsables politiques…

"On ne peut pas gérer l’hôpital comme une entreprise"

Craignez-vous un démantèlement de l’hôpital public?

On peut se poser la question. Au rythme où vont les choses, on peut très bien imaginer que, dans quelques années, les activités lucratives (les pathologies habituelles) seront confiées aux cliniques privées et que les activités coûteuses (urgences, pathologies lourdes, maladies rares ou liées à la précarité) resteront à la charge des hôpitaux publics. Le privé aurait tous les avantages, et en particulier celui de l’équilibre financier.

Pourquoi un tel démantèlement commencerait-il à Paris?

Contrairement aux autres CHU, l’AP-HP manque de soutiens politiques. C’est une tradition: le ministère de la Santé la gère directement. Pour des raisons historiques, le maire de Paris et le président de la région Ile-de-France ont peu de pouvoir. Si on faisait au CHU de Bordeaux ce qu’on fait actuellement ici, j’imagine quelle serait la réaction d’Alain Juppé.

Les pouvoirs publics soutiennent que le privé soigne aussi bien pour moins cher.
C’est faux. La comparaison qu’on utilise pour dire que le privé soigne à moindre coût est biaisée puisqu’elle ne prend pas en compte les salaires des médecins des cliniques.

Ne faut-il pas maîtriser les dépenses de santé?

On ne peut pas gérer l’hôpital comme une entreprise. Il y aurait bien d’autres manières de réduire les déficits avant de s’attaquer aux postes d’infirmières ou de médecins. Pourquoi ne pas mieux contrôler les dépenses de médicaments, par exemple?

En France, il n’y a aucune politique du médicament digne de ce nom. En Grande-Bretagne, tout est sévèrement contrôlé. Là-bas, certaines nouvelles molécules, utilisées dans le traitement des cancers, n’ont pas été mises sur le marché car elles ont été jugées trop coûteuses et peu efficaces au vu des résultats cliniques attendus.

Je n’invente rien: la Caisse nationale d’assurance-maladie a chiffré à plusieurs centaines de millions d’euros par an le coût des économies potentielles en incitant simplement à prescrire à efficacité égale le médicament le moins coûteux.

L’AP-HP a également engagé des regroupements hospitaliers. Pourquoi y êtes-vous opposés?

On n’est pas opposés au changement mais à son manque de cohérence. Il n’y a pas de réelle vision, pas de stratégie. On peut répartir autrement les personnels dans les hôpitaux à condition que les changements obéissent à des impératifs médicaux et que l’architecture des hôpitaux parisiens soit repensée.

Ces derniers sont morcelés en petits pavillons alors qu’on trouve ailleurs de grands bâtiments où l’on peut soigner avec moins de personnel. Rendez-vous compte: alors que les grands CHU de province ont été modernisés, à Paris, à de rares exceptions près, on n’a pas investi dans la construction depuis trente ans!