mercredi 6 octobre 2010

Les Urgences de Paris au bord de l'explosion dans l'indifférence générale

Urgences, ça explose à Paris, 6 octobre 2010

Depuis quelques jours, la situation dans les services d'urgences des hopitaux de Paris se tend sérieusement. A l'image du service de l'hôpital Tenon, en grève et à deux doigts d'exploser. Voiçi la lettre qu'a adressé, hier, mardi, le chef des urgences de l'hopital la Pitié, Bruno Riou, au professeur André Grimaldi, un des portes paroles des médecins hospitaliers, pour expliquer la situation. Inquiétant, pour le moins.

Cher André

Un point sur la situation du SAU de Tenon et la réunion de crise qui s'est tenu au siège de l'APHP ce soir. Un bref rappel: le SAU de Tenon est en grande difficulté depuis de nombreuses semaines en terme d'IDE avec un épisode de quasi fermeture avec demande de délestage total début septembre (qui n'a débouché sur aucune mesure de fond!), une fermeture de l'Unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD) depuis 12 jours, et ce week-end une impossibilité de faire fonctionner l'ensemble du SAU avec l'arrêt de travail inopiné des 3 dernières IDE prévues pour l'accueil. Conséquence, une surcharge immédiate considérable de Saint-Antoine avec une conférence téléphonique de crise qui s'est tenue dimanche, arrachée par les urgentistes à l'administrateur de garde de l'APHP (48 heures pour l'obtenir !). Lors de la réunion de ce soir, la Collégiale des chefs de service d’urgence de l'APHP, menée par son Président Enrique Casalino, a exprimée sa colère devant une situation qui était prévisible de longue date et une gestion qui n'a pas été à la hauteur de la gravité du dysfonctionnement. La Collégiale a notamment:

- marqué sa désapprobation de n'avoir pas été mise dans la boucle très tôt pour anticiper et gérer ces problèmes graves;

- a constaté qu'il y avait eu fermeture de l'UHCD depuis de très nombreux jours ce qui constitue d'une part une fermeture de fait d'une structure d'urgence et une mise en danger des patients; la Collégiale a affirmé le principe suivant lequel la dernière structure qui doit fermer dans un hôpital c'est bien le SAU et que l'UHCD est indissociable du SAU; personne n'a semblé contredire ce principe;

- a constaté l'incapacité de Tenon à maintenir coûte que coûte son SAU ouvert et l'incapacité de l'APHP à mobiliser ne serait-ce qu'une IDE sur Tenon pour maintenir une UHCD ouverte.

La réunion a ensuite cherché à dégager des solutions pour refaire fonctionner le SAU de Tenon dés demain. Il a été rappelé que la situation ordinaire de Tenon (10 à 15 patients couchés sur des brancards faute de lits) est en soit une situation totalement inacceptable. Il est clair que le rabotage des emplois IDE et AS a abouti à exposer le SAU (mais aussi l'ensemble de l'hôpital Tenon) à une situation de précarité extrême sans aucune marge de manoeuvre pendant la période déjà habituellement difficile de septembre à décembre du fait que les recrutements de nouvelles IDE n'interviendront pas avant décembre (jusqu'à 25% d'intérimaires les week-ends semble-t-il). Ont été également soulignées la crainte d'une contagion vers le SAU Saint-Antoine et une mobilisation syndicale importante, médicale et paramédicale. Enrique Casalino a souligné qu'il y avait toujours des marges de manoeuvres et que toutes les solutions n'avaient pas été mises en oeuvre pour améliorer le fonctionnement du SAU de Tenon notamment sur l'aval. Dominique Pateron et Etienne Hinglais ont souligné respectivement l'incapacité de Rotschild à assurer ne serait-ce qu'un peu d'aval pour le SAU de Tenon et la crainte, dans cette situation de crise, qu’on réoriente l’aval de Saint-antoine (déjà insuffisant) vers Tenon sans rogner les autres activités ce qui ne ferait que déplacer le problème. La DRH et la DSI du siège doivent se mobiliser pour aider au recrutement immédiat d'IDE sur le SAU de Tenon.

J'ai insisté sur le fait que des bruits alarmants touchant soit le personnel médical soit le personnel paramédical nous parviennent de très nombreux SAU (Beaujon, Jean Verdier, Mondor, Lariboisière) et que la situation de Tenon risque de faire des émules dans les semaines qui viennent. J'ai rappelé que l'engagement de l'APHP sur le plan urgence avait failli cette année du fait de l'incapacité de l'APHP a gérer les transformations de postes de praticiens attachés en praticiens contractuels ce qui allaient se traduire par l'incapacité de plusieurs SAU à recruter (voire fonctionner) et faciliter de nouveaux départs de l'APHP. J'ai souligné que nos équipes étaient consternées (certaines désespérées) de l'absence de réponse claire sur la poursuite du plan urgence APHP, et que l'absence de pilotage de la DPM depuis juillet n'était qu'un des éléments de cette absence de réponse.

Nous avons collectivement dit que, en l'absence de réponse adaptée de l'APHP, à la crise de Tenon comme aux crises inéluctables que nous sentons venir, nous nous réservons une totale liberté de parole vis à vis de la Direction comme de la CME et que nous envisageons dés maintenant la possibilité de communiquer vers la presse et de nous tourner vers l'ARS, malgré l'effet catastrophique sur les esprits de la sortie dans la presse du "plan ARS sur les urgences". Nous avons rappelé la lettre envoyée par la Collégiale à Jean-Yves Fagon et Benoît Leclerc en 2008 soulignant que nous étions d'accord pour envisager toutes les restructurations de structures d'urgences imaginables sous réserve que l'accueil des flux de patients soient maintenus, que le dimensionnement des locaux et des UHCD soient corrects, et que la mobilité interhospitalière des patients et l'aval des SAU soient garanties. En revanche nous ne sommes pas d'accord pour une politique de fermeture par pourrissement de la situation ou déstabilisation des équipes. Voilà, mon cher André, un résumé très personnel des évènements récents. Je suis persuadé que nous ne sommes qu'au tout début d'une crise majeure.

Bien amicalement.

Bruno Riou

Service d'Accueil des Urgences

CHU Pitié-Salpêtrière