samedi 10 avril 2010

Selon la Cour des comptes, les hôpitaux militaires affichent le premier déficit de France

Un déficit "hors normes", une situation financière "très dégradée", une "indispensable amélioration" de la gouvernance. Dans le viseur de la Cour des comptes, le service de santé des armées (SSA) s'apprête à vivre une douloureuse mutation.

Ses neuf hôpitaux ont cumulé un déficit de 310 millions d'euros en 2008 selon la Cour, au moment où tous les hôpitaux civils réunis creusaient un trou de 575 millions.

Les établissements militaires, dont le Val-de-Grâce à Paris, "constituent le premier déficit hospitalier de France alors qu'ils représentent 2 % des capacités publiques", ont conclu, en décembre 2009, les magistrats financiers dans leurs observations définitives, dont Le Monde a pris connaissance.

De ces documents très critiques, le service a tiré un plan d'action soumis au cabinet du ministre de la défense, lundi 29 mars. Diminution d'effectifs, réorganisations : des objectifs chiffrés et précis seront établis à l'automne. "On est en train de professionnaliser complètement notre gestion. Pour nous, ce n'est que le début. Nous avons clairement le sentiment qu'il faudra qu'on améliore notre performance pour continuer d'exister", indique le médecin général Joël Marionnet, directeur adjoint.

En ces temps de réforme des services publics, la cible était belle. Le SSA vivait comme une entité à part. Depuis trois ans, il est sommé de rendre des comptes : dans le cadre de la révision générale des politiques publiques d'abord, qui a prévu 600 suppressions d'emplois sur 16 000 ; puis de la réforme hospitalière, qui impose des objectifs de rentabilité ; enfin, de l'analyse de la Cour des comptes.

Les neuf hôpitaux des armées, de taille moyenne et généralistes, accueillent une majorité de civils depuis la fin du service militaire, qui obligeait les appelés à s'y faire soigner. Ces établissements "figurent parmi les 10 % de centres hospitaliers les moins performants en terme de recettes d'activité", et "ils se retrouvent dans une situation de sous-activité médicale", critique la Cour.

Le taux d'occupation des lits est de 52 % contre au moins 75 % dans le civil. Les coûteux équipements d'imagerie sont sous-utilisés. La productivité des chirurgiens apparaît largement inférieure aux centres comparables. Les personnels administratifs sont trop nombreux par rapport aux soignants. Ces constats rejoignent une critique interne : les hôpitaux, qui absorbent la majorité des ressources du SSA, sont accusés de le faire au détriment de la modernisation des centres médicaux implantés dans les régiments.

Jouissant d'une bonne réputation, les hôpitaux militaires ont procédé, ces dix dernières années, à de gros investissements en matériel médical. Malgré cela, le taux de vétusté - qui s'établit à près de 73 % en moyenne - "apparaît peu favorable au regard des normes civiles pour lesquelles un taux de 50 % constitue un signal d'alerte".

Autre problème, la participation des médecins et personnels soignants aux opérations extérieures - Kosovo, Afghanistan, etc. -, soit le "contrat opérationnel" du service de santé. Rapportée au personnel militaire, elle est "globalement limitée", à l'exception des équipes de chirurgie, affirme la Cour des comptes. Seuls 11 % des effectifs globaux sont concernés. Ce sont 24 médecins sur 621. Ou 2 % des infirmiers et aides-soignants. "La montée en puissance des opérations extérieures et leur dangerosité nouvelle n'ont pas eu de traduction sur l'activité à charge des hôpitaux", écrit encore la Cour.

De plus, "si le contrat est réalisé en totalité pour les 29 équipes chirurgicales destinées à être projetées, il n'est que très partiellement respecté en ce qui concerne le soutien de santé à l'arrière". Celui-ci "repose en large partie aujourd'hui, si un conflit survenait, sur l'appel aux réservistes et sur le recours aux hôpitaux civils", indiquent les magistrats financiers.

Selon la direction du SSA, le déficit est moindre : 70 millions d'euros sont dus à des prestations régaliennes - experts dépêchés en coopération, soins de chefs d'Etat étrangers, etc. - ou à divers surcoûts (pensions, congés) non facturés. Elle prévoit toutefois de "développer l'activité" et de "générer des économies". Elle suggère ainsi de réduire de 3 200 à 2 600 le nombre de lits disponibles en cas de conflit majeur. "On est en train de changer de culture", constate M. Marionnet. Mais faut-il pour autant renoncer à cette particularité française tricentenaire ?

Nathalie Guibert

Le SSA

1,5 milliard d'euros en 2008 et 16 000 personnes

Etablissements. Le service de santé des armées dispose de neuf hôpitaux d'instruction des armées : Val-de-Grâce (Paris), Percy (Clamart, 92), Bégin (Saint-Mandé, 94), Sainte-Anne (Toulon), Laveran (Marseille), Desgenettes (Lyon), Picqué (Bordeaux), Clermont-Tonnerre (Brest), Legouest (Metz). Il possède aussi l'hôpital Bouffard de Djibouti. Il compte cinq écoles de formation, quatre centres de recherche, huit établissements de ravitaillement.

Mission. Seuls les Etats-Unis, l'Allemagne et la France ont un service de santé militaire intégré.

Les hôpitaux doivent disposer de 48 équipes chirurgicales, dont 29 en opérations extérieures. Ce besoin est calculé pour 35 000 soldats projetés, avec 0,8 % de blessés et 280 opérations par jour, et pour le soutien de 10 000 hommes sur le territoire national.

Ressources. 1,5 milliard d'euros en 2008 et 16 000 personnes.